Une charte pour cadrer les échanges

Lycée Jeanne-d’Arc, Caen (14)
Chef d'établissement : Étienne Manson
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Au lycée Jeanne-d’Arc de Caen, l’introduction du contrôle continu au bac et la crise sanitaire ont créé des tensions en distanciel entre parents et enseignants. D’où l’idée d’adopter une charte des bons usages numériques pour cadrer l’envoi intempestif de mails. Depuis, les échanges se sont fluidifiés et le climat s’est apaisé.

En septembre dernier, les familles du lycée Jeanne-d’Arc de Caen (14) ont signé une « Charte du bon usage des outils de communication numériques ». Un document de huit pages qui s’est révélé indispensable après les échanges tendus entre parents et enseignants durant la crise sanitaire. « Nous étions pris en tenaille, explique Étienne Manson, qui dirige depuis trois ans cet établissement sous tutelle méricienne de 850 élèves et étudiants. D’un côté, les confinements ont généré des communications tous azimuts, moins maîtrisées et plus émotives… et de l’autre, la réforme du lycée a déclenché une vigilance accrue des familles sur les notes. Des enseignants se sont retrouvés sommés par mail de justifier leur évaluation par des parents doublement stressés. » En conseil de coordination et d’innovation pédagogique et éducative, les équipes évoquent leur malaise. « C’est même remonté lors du comité social et économique, se souvient Étienne Manson. Nous étions confrontés au souhait de refermer les vannes, face à cette nouvelle pression. Cela perturbait le bien-être des équipes, qui est essentiel à mes yeux. La réponse a été : on ne fait pas machine arrière, mais on va encadrer les échanges. »

Court, correct, concret

« L’idée d’une charte est venue naturellement, explique Nathalie Colombo, psychologue de l’ensemble scolaire Sainte-Angèle dont fait partie Jeanne-d’Arc, qui a suivi son élaboration de bout en bout. Nous avons d’abord identifi é le problème : une mauvaise utilisation de l’outil numérique, dans le tempo de vie personnelle ou professionnelle, ce qui créait un distanciel intrusif. J’ai fait le même constat en recevant quelques enseignants en entretiens individuels. » L’équipe de direction s’inspire d’une charte de l’Orse , comme point de départ d’une longue consultation. « Notre charte s’est surtout nourrie des échanges, relectures et contributions de tous, en équipe de direction, en conseil pédagogique, et avec l’Apel », commente la psychologue. Laurent Manoury faisait partie de la quinzaine de parents qui ont pris part au processus. « On a apporté une vision plus globale car au lycée, les familles sont rarement présentes ! Le mail est un outil facile pour contacter le prof, pas toujours joignable par téléphone, fait-il remarquer. Certaines familles se sont lâchées. La charte a permis de remettre le respect au centre, car qui dit charte dit règle. » Et la règle, c’est une circulation fluide des échanges, et surtout des mails, qui doivent être factuels (pour prendre rendez-vous ou informer d’une absence). « On a posé des principes, ajoute Étienne Manson. On se parle ! Tout ce qui concerne l’accompagnement pédagogique et éducatif ne se fait pas par courriel, mais de vive voix, lors de rencontres physiques ou par téléphone. Car au cours d’un échange verbal, on s’écoute et on cherche tout de suite des solutions. » Le document détaille les bonnes pratiques concernant les messages et met en avant la règle des 3C : court, correct et concret. « La charte n’est pas là pour empêcher la communication mais pour indiquer ses chemins, commente Nathalie Colombo. Elle légitime le fait, par exemple, de ne pas répondre immédiatement. » Le droit à la déconnexion durant les heures de fermeture du lycée y est inscrit. Cela a limité le stress des enseignants qui s’imposaient de répondre à tout message immédiatement.

Sept versions en un an

Du premier jet présenté en novembre 2020 jusqu’à l’élaboration définitive, sept versions se sont succédé et ont été relues, amendées et validées par toute la communauté. Et à la rentrée dernière, la charte a été incluse dans le règlement intérieur, et signée par les familles. En cas de non-respect répété, plane la menace de l’exclusion. Une mesure extrême, mais qui sert de parapluie aux équipes, comme en témoigne Nathalie Tesson, enseignante en physique-chimie : « En décembre dernier, j’ai reçu une mère et sa fille en difficulté dans ma matière. En entretien, la mère ne m’a rien dit, mais le lendemain, elle m’a adressé un mail critiquant mon évaluation, me reprochant ma “froideur” envers sa fille, en mettant en copie les “profs bienveillants”. Elle a exprimé par écrit son ressenti au lieu de le dire en face-à-face. Mais la charte était de mon côté, car elle fixe le cadre des droits et des devoirs de chacun. » Informé, le chef d’établissement a convoqué la famille. « Cela a été compliqué, se souvient-il, car cette mère était complètement dans l’évaluation des enseignants, comme si elle notait un restaurant… » Au mitan de l’année scolaire, un premier bilan met en évidence le retour au calme. « J’ai nettement moins de situations conflictuelles, affirme Étienne Manson. Les enseignants se sentent plus sécurisés et en interne, on me signale en amont plus de choses. On se laisse donc la liberté de faire évoluer la charte, et d’essaimer dans les autres unités pédagogiques de l’ensemble scolaire (cf. encadré). »

Stop aux mails pollueurs

Côté élèves, peu consultés pour cause de distanciel, le texte a été adopté facilement. « Pendant le confinement, on recevait trois mails par semaine pour chaque matière et il fallait envoyer des photos de nos travaux !, s’exclame Sybille Cormier, en Tle. Maintenant, on en a moins et tout est balisé via un lien dans le cahier de textes, des alertes et des notifications, que l’on peut même couper. La charte nous a fait prendre conscience qu’on avait le droit de ne pas avoir vu un mail. Ça donne davantage de responsabilités, dont celle de ne pas déranger les profs ! » De plus, pour la lycéenne également éco-déléguée, l’autre versant du problème est écologique. « Les mails inutiles polluent la planète. Nous avons fait une exposition l’année dernière à ce sujet. Il faut réduire sa trace numérique le plus possible. » Une préoccupation qui fait écho aux différents niveaux du projet d’établissement : « écologique, bien sûr, mais aussi pédagogique et surtout anthropologique : quel type de relation voulons-nous privilégier ?», reprend Étienne Manson. L’un des axes de son projet n’est-il pas de « s’enrichir mutuellement par une écoute et des échanges favorables aux apprentissages et au développement des talents » ?

UNE ENQUÊTE SUR LE RESSENTI DES PROFS

La « Charte du bon usage des outils de communication numériques » du lycée Jeanne-d’Arc de Caen (14) fait déjà des émules. À Sainte-Angèle, le groupe scolaire dont fait partie cet établissement, le lycée pro et techno Sainte-Ursule – 780 élèves – s’y intéresse de près. « Durant la crise sanitaire, nous avons eu, nous aussi, des retours virulents des familles, témoigne Emmanuel Berder, le directeur adjoint (photo). Certains enseignants étaient peu préparés à ces remarques. On a d’abord fait une enquête pour connaître leur ressenti. 70 profs sur 80 nous ont répondu. » Si plus de 60 % des enseignants jugent les messages des élèves et des familles respectueux, et la moitié justifiés, 32 % les estiment envahissants et 15 % agressifs. À noter : seul un tiers des familles ont le numéro de portable des enseignants, qui sont 85 % à vouloir maintenir le contact via EcoleDirecte. « La charte refllète ce que l’on vit, poursuit Emmanuel Berder. Elle est extrêmement détaillée et fait gagner du temps. Nous allons la soumettre aux équipes lors des journées pédagogiques de juin prochain pour l’adopter l’année prochaine. Elle aura sa place dans le Link Book, un carnet de correspondance avec un agenda, que nous avons mis en place depuis quelques années à la demande des enseignants pour matérialiser les échanges. »