Un film d’enfants contre le harcèlement scolaire

Ecole Sainte-Marguerite-Marie, à Charolles, 71
Karine Gronfier-Moreau, chef d'établissement
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Les élèves de l’école Sainte-Marguerite-Marie, à Charolles (71), ont travaillé pendant un an à la réalisation d’un film sur le harcèlement scolaire, intitulé « De roses et d’épines ». Un projet pluridisciplinaire qui mêle apprentissages et éducation citoyenne.

La petite école Sainte-Marguerite-Marie (trois classes), à Charolles (71), a mené un projet de grande envergure. Tout au long de l’année scolaire dernière, ses cinquante-deux élèves, de la maternelle au CM2, ont réalisé un court-métrage sur le harcèlement en milieu scolaire. Ils ont été aidés par Julien Bervas, un réalisateur contacté via l’association CinéJeunes. Celui-ci est venu régulièrement à l’école avec son matériel pour encadrer le projet en veillant à ce que les élèves s’investissent à chacune des étapes du film. Ce sont les enfants qui ont écrit le scénario, réalisé le storyboard, joué les rôles, assuré la technique, choisi les décors et les accessoires du film… « On a appris à faire plein de choses ! », se félicite Firmin, élève en classe de CE2. Les écoliers ont aussi fait le choix de mélanger différents styles afin de s’adresser à tout type de public.
De roses et d’épines, c’est le titre de ce court-métrage de trente minutes, mêle en effet des scènes de fiction, d’animation et de marionnettes réalisées par les élèves de maternelle ; mais aussi du théâtre et du mime, à la manière d’un film muet…

Sensibiliser et prévenir

« Toutes les disciplines ont été convoquées ! résume Sonia Renon, enseignante dans une classe à double niveau CM1/CM2. Le scénario a été un support idéal pour étudier les différentes formes de discours, direct et indirect, en plus du travail sur l’orthographe et la grammaire. »
Ce projet, d’un coût d’environ 6 000 euros, a été entièrement financé par le rectorat dans le cadre de la démarche « Notre école, faisons-la ensemble », qui soutient des initiatives apportant « une réponse nouvelle, innovante, transformante à des questionnements pédagogiques et ou éducatifs », précise le site Eduscol. L’ambition de Sainte-Marguerite-Marie ? Réaliser un film d’une manière professionnelle pour qu’il soit diffusé ensuite dans d’autres établissements. Au final, cela a représenté un an de travail, quatre jours de tournage et 800 prises de vue.
Anne Costet, secrétaire de l’Ogec et maman de deux enfants ayant participé à ce projet, a été surprise par « la grande qualité du film ». Mais l’objectif premier n’était pas seulement là. La mère d’élève remercie surtout l’école d’avoir sensibilisé ses enfants à la question du harcèlement scolaire. Ils sont « fiers de leur travail et ont gagné de la confiance en eux », confie-t-elle.
le film raconte le harcèlement du petit Mathieu par l’une de ses camarade, plus âgée, Lou. À force d’accumuler trop de colère, Mathieu lui assène un coup de poing. C’est le départ du film, mais aussi du voyage introspectif de Lou, qui comprend pourquoi elle s’en prend aux autres : elle aussi a été harcelée lorsqu’elle était plus jeune. Quand on demande aux élèves quelle est leur séquence favorite, ils citent tous « celle du coup de poing ». C’est la scène la plus impressionnante et le moment clé de l’histoire. Le film enseigne aux élèves qu’il faut parler à un adulte pour éviter d’en arriver là. « Mettre des mots sur ses émotions, c’est aussi une compétence », estime Sonia Renon. « On ne pensait pas que le sujet allait autant faire écho à l’actualité, car cette sensibilisation est devenue depuis obligatoire », avoue Karine Gronfier-Moreau, la cheffe d’établissement. La directrice a anticipé le « Plan Boussole », lancé par le Secrétariat général de l’enseignement catholique en septembre 2023. En quelques années, la lutte contre le harcèlement en milieu scolaire est effectivement devenue un sujet de taille qui nécessite une mobilisation des équipes pédagogiques.

Le projet est né en 2021, après que les trois institutrices de l’établissement ont suivi une formation de trois jours sur la communication non violente pour apprendre à gérer les situations de conflit entre les élèves. « La formatrice nous a conseillé de mettre à profit ce qu’on avait appris de retour dans notre école », explique Karine Gronfier-Moreau, également enseignante en maternelle. Grâce à cette formation, les institutrices reconnaissent avoir adopté de nouveaux réflexes. Sonia Renon considère posséder désormais « d’autres outils pour analyser tous les angles de vue et suggérer des solutions des deux côtés » lors d’un conflit.
Sainte-Marguerite-Marie n’est pourtant pas sujette aux cas de harcèlement scolaire. L’école offre une dimension familiale qui ne favorise pas le conflit, et les trois institutrices n’ont pas de mal à repérer les situations problématiques. « Ici, ils sont protégés », reconnaît Karine Gronfier-Moreau. Cependant, avec son équipe, elle a souhaité anticiper l’intégration des élèves dans de plus grandes structures scolaires.

Un projet qui rapproche

Anne Costet constate la pertinence de cette décision avec ses deux aînés : « Quand ils sortent du CM2, ils sont hyper candides, alors l’arrivée au collège peut être difficile… », surtout pour les profils d’élèves les plus fragiles. Si la plupart sont encore trop jeunes pour assimiler toutes les leçons à tirer de leur court-métrage, les écoliers ont bien compris ce que sont le harcèlement scolaire et ses enjeux. « Quand il y a une dispute, il faut aller le dire à la maîtresse ! », récite Constance, élève de CE1. Et lorsque les querelles prennent le dessus dans la cour de récréation, les enseignantes sont justement là pour leur faire la leçon. « Quand on voit qu’ils ne sont pas très gentils entre eux, on leur fait des rappels au film. Ça leur parle et ils se rendent compte qu’il faut faire attention », souligne Sophie Meillerand, professeur des CP/CE1/CE2. Ce film a également créé dans l’établissement « un espace de culture commune », d’après Sonia Renon. Les élèves, leurs parents et les enseignantes semblent effectivement plus soudés. Anne Costet peut en témoigner : elle a été propulsée au cœur du projet en acceptant d’héberger le réalisateur du film ! Avec l’aide de chacun, « on a réussi, dans une petite école qui a peu de budget, à rester sur une dynamique positive », s’enthousiasme la mère d’élève, « bluffée » par cette belle aventure. « Les parents étaient partie prenante et les enfants se voyaient en dehors de l’école pour répéter… », se souvient-elle.
Cette initiative a valu à Sainte-Marguerite-Marie d’obtenir le Prix de la ville de Charolles, à l’occasion des vœux du maire, en janvier dernier. Le film a été projeté en avant-première, le 6 novembre dernier, au Tivoli, le cinéma associatif de la ville, pour le plus grand plaisir des cinéastes en herbe. Puis deux fois encore, en présence d’un médecin de l’association Chagrin scolaire, spécialisée dans le harcèlement scolaire, qui est intervenu devant des chefs d’établissement voisins, du public et du privé, conviés à la projection. Karine Gronfier-Moreau souhaite désormais « faire de ce film un support pour les autres établissements dans le cadre du programme d’éducation citoyenne et civique », pour amorcer la sensibilisation des élèves aux problématiques de harcèlement. De roses et d’épines est en libre accès sur le site web de l’association CinéJeunes.