professeur et élèves

Un campus d’excellence du pro

Campus Esprit Industries, Redon (35)
Directeur Thierry Sauvage
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élèves
D. R.

Face aux réformes qui bouleversent la formation professionnelle, les établissements doivent resserrer leurs liens avec les acteurs locaux. À Redon (Ille-et-Vilaine), un nouveau modèle de campus territorial est né. Un exemple prometteur…

À Redon (Ille-et-Vilaine), cité ouvrière durement frappée par la fermeture de l’industrie automobile, se développe un modèle de campus d’enseignement supérieur d’un nouveau genre, où l’enseignement catholique a toute sa part. Depuis 2014, les acteurs locaux – politiques, économiques, universitaires et scolaires –, Région Bretagne en tête, ont créé ici Esprit Industries, un campus de proximité, le premier du genre.

Dans cette ville de 10 000 habitants, qui attire la semaine 7 500 élèves supplémentaires issus des départements voisins de Loire-Atlantique et du Morbihan, « l’enjeu est de maintenir ces jeunes sur le territoire en les ouvrant à l’enseignement supérieur, alors que leur taux de scolarisation, excellent jusqu’au bac, s’effondre en particulier à bac +3, où se situe désormais le curseur de recrutement de nombreux techniciens », introduit Anne Patault, vice- présidente du Conseil régional chargée de l’égalité et de l’innovation sociale, fondatrice du projet et présidente du campus.

Dans cette optique, le jeune campus veut proposer des formations d’excellence en alternance, de la licence pro au bac +5, sur des segments spécialisés correspondant aux besoins en main-d’œuvre qualifiée des entreprises du territoire (en électrotechnique, en maintenance). Un moyen de répondre aussi au besoin des établissements scolaires de prolonger leurs filières et de valoriser leurs savoir-faire…

« Un modèle à essaimer »

« La stratégie a été d’aller vite, sans s’encombrer de la création de licences, en privilégiant la délocalisation à Redon de formations universitaires déjà existantes dans la région via des alliances avec les IUT bretons », poursuit Anne Patault qui dénombre à ce jour 5 licences pro, 4 parcours RNCP, et quelque 900 étudiants au total, répartis sur différents sites, avec un taux de réussite moyen de 98 % et un taux d’insertion moyen à 6 mois de 100 %. Dans cette construction « à partir du territoire », concrétisée sous la forme d’un Groupement d’intérêt public, l’enseignement catholique d’Ille-et-Vilaine compte parmi les administrateurs-fondateurs. Avec pour moteur, deux des quatre lycées privés de la ville, en lien avec le seul lycée public redonnais, tous désireux de se positionner pour l’avenir via le développement de formations croisées et une mutualisation de leurs plateaux techniques et de leurs enseignants.

À leurs côtés, des acteurs clés du développement local ont investi dans le jeune campus (dont le budget initial était de 381 000 € en 2014 et le budget de fonctionnement de 2,116 M € en 2017). Parmi eux : la Région, la communauté d’agglomération de Redon, la Chambre de commerce et d’industrie d’Ille-et-Vilaine, la ville de Redon, l’UIMM2, et plus récemment le rectorat, trois IUT (Rennes, Quimper, Lorient), ainsi que des entreprises du secteur électronique (Safran, Selha…).

« Quels sont les lieux où l’on trouve réunis les universités et tous les acteurs d’un pays pour penser la formation bac +3 et la formation continue ensemble ? Ce campus très complet, au plus près de la réalité des besoins du territoire, est emblématique des enjeux de la réforme de la formation professionnelle. Et un modèle à essaimer ! », analyse Marie-Anne Leduby, responsable du 2d degré à la direction diocésaine d’Ille-et-Vilaine.

Pour le lycée polyvalent Marcel- Callo, à dominante industrielle, déjà labellisé « Lycée des métiers » et étroitement relié aux branches professionnelles, « la valeur ajoutée de ce bel exemple de mixité élargie d’acteurs du territoire est apparue assez évidente », explique le chef d’établissement, Vincent Maisonneuve. C’est aussi une formule « plus réactive » que celle du campus d’excellence des qualifications et des métiers, labellisée par le ministère de l’Éducation nationale.

Avec Esprit Industries, le lycée compte fidéliser ses 970 élèves pour des parcours bac +3. L’établissement a pu contribuer ainsi au développement de deux licences professionnelles : en maîtrise de l’énergie, électricité et développement durable, portée par l’IUT de Lorient, et en mécatronique (production et assemblage des systèmes électroniques), portée par l’IUT de Rennes.

Éviter la concurrence frontale

Pour le lycée agricole catholique de l’Issat, le campus territorial a été l’opportunité d’un changement d’échelle. D’abord, en assurant la pérennité de sa licence pro Qualité, sécurité, environnement en apprentissage qui vivotait à 12 km de Redon. Elle a été « relocalisée au centre-ville au sein du pool de formations supérieures avec le bénéfice d’une vraie vie étudiante et de projets d’animation », témoigne Christian Thomas, son chef d’établissement jusqu’en septembre dernier. Ensuite, en ouvrant la possibilité d’une mutualisation des investissements qui a permis l’inauguration d’un nouveau bâtiment à côté de la gare en septembre 2017, intégrant un laboratoire de biotechnologies pour l’Issat et une nouvelle plateforme électronique pour le campus. Enfin, en enrichissant son offre avec l’ouverture d’une licence pro Agroéquipement en partenariat avec l’IUT de Lorient, annoncée pour 2019.

Pour les deux établissements catholiques, la grande différence tient dans l’obtention d’un siège de plein droit pour chacun au CA du campus depuis 2018. Et aussi dans le pilotage, confié au chef d’établissement de Marcel-Callo, d’une commission-clé du campus : celle de l’enseignement supérieur. « Cela permet d’éviter la concurrence frontale sur le développement post-bac, en ayant une vision globale des projets des collègues. On essaie de trouver des terrains de collaboration et/ou de développement complémentaires », apprécie Vincent Maisonneuve.

Précieux, l’équilibre trouvé au sein du campus, récemment rejoint par les deux autres lycées privés redonnais (le lycée tertiaire Notre-Dame et le lycée général Saint-Sauveur), reste à consolider, alors que la réforme de la formation professionnelle se concrétise et, avec elle, la recherche de nouveaux financements, suite à la baisse de la taxe d’apprentissage versée aux Régions. Sans oublier la réforme du lycée et le jeu de reconfiguration généré par les nouveaux enseignements de spécialité, la baisse démographique annoncée et l’annonce de l’ouverture de deux lycées publics dans le département voisin de Loire- Atlantique…

Pour les acteurs de l’enseignement catholique redonnais, le défi reste d’adopter une stratégie collective, là où malgré de premières mutualisations, les politiques des établissements restent juxtaposées. « Nous sommes devant une triple nécessité : articuler l’offre de formation, formaliser le cadre de cette alliance et fonder un nouveau modèle économique pour la porter. Rien n’est encore fixé mais le temps presse », insiste le frère Thierry Beauplet, délégué de la tutelle mennaisienne, qui a demandé aux trois des quatre lycées redonnais sous sa responsabilité (Marcel-Callo, Issat et Notre-Dame) de formuler des réponses concrètes d’ici la fin de l’année.

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D. R.