Tester la méthode de Singapour
Ecole Saint-Honoré-d’Eylau (75)
Nadège Doat, cheffe d’établissement
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Aborder des notions nouvelles en manipulant des jetons, raconter des histoires aux enfants pour qu’ils comprennent les quatre opérations, travailler en binôme pour trouver la solution de calcul, c’est cela la méthode de Singapour. Elle permet de dédramatiser le rapport aux mathématiques. Et les petits Français en ont bien besoin !
Dans la classe de CP de l’école primaire Saint-Honoré-d’Eylau, à Paris (XVI arr.), une vingtaine d’enfants, assis autour de tables disposées en îlots de quatre places, écoutent une histoire. Un fermier a placé sept chevaux dans un pré et cinq autres sont restés dans l’écurie… Même si l’enseignante Marie-Claude Guillet en profite pour s’assurer que tous ses élèves comprennent bien ce qu’est un pré, il ne s’agit pas d’un cours de français mais de… maths version méthode de Singapour. Le pré et l’écurie sont représentés sommairement sur le tableau et des chevaux dessinés y sont aimantés. L’enseignante interroge les élèves : « À partir de ce que vous voyez, quelle question mathématique pourrait-on poser ? » La réponse fuse : « Combien de chevaux le fermier a-t-il en tout ? » Reste à effectuer le calcul. Chacun s’y prend à sa façon. Les enfants viennent au tableau présenter « leur » méthode. Certains mettent le signe plus entre les deux groupes. D’autres posent simplement l’addition et la résolvent. Tous doivent expliciter leur démarche.
Aborder l’abstraction en douceur
Les enseignants de l’école se sont « mis » à la méthode de Singapour en 2016 et ont été conquis. Ils l’utilisent de la grande section de maternelle au CM2. « Cette méthode mise sur les manipulations et fait passer en douceur du concret vers l’abstraction », assure la directrice de l’école, Nadège Doat. Contrairement au matériel parfois coûteux de la pédagogie Montessori, seuls quelques jetons, billes ou bûchettes sont né- cessaires… Sans oublier le livre du maître et les cahiers de l’élève. « Au fil du temps, nous avons choisi le manuel d’Accès Éditions, qui accorde une bonne place à la géométrie et aux mesures – respectant ainsi le programme français – ce qui n’est pas le cas de tous les éditeurs. Par ailleurs, les énoncés sont clairs et les situations ludiques », ajoute Nadège Doat. Manipuler, verbaliser, représenter, abstraire, tels sont les quatre axes de la méthode de Singapour. Dans la classe de Marie-Claude Guillet, les enfants ont devant eux une coupelle avec des jetons multicolores. Lors- qu’une nouvelle notion est abordée, un temps plus ou moins long selon sa difficulté est accordé aux manipulations. « Certaines semaines, les élèves manipulent et ne touchent pas à leur stylo, d’autres semaines, ils écrivent davantage », indique-t-elle.
L’autre point fort de la méthode est d’établir un lien fort entre les mathématiques et le langage. L’enfant est amené à expliciter systématiquement sa réponse et à s’approprier le vocabulaire des mathématiques. L’enseignante crée des histoires mais parfois ce sont les élèves qui s’y collent.
Plusieurs cheminements possibles
« Ils conçoivent des problèmes mathématiques à partir des histoires qu’ils inventent. Cela leur permet de bien comprendre et de dédramatiser les problèmes souvent redoutés », poursuit Marie-Claude Guillet.
La professeure de CE1, Camille Bernard, convaincue par cette pédagogie, remplace d’ailleurs souvent le terme « problème » par celui d’ « énigme ». Un certain esprit de recherche est aussi mis au cœur de l’enseignement. Pour bien faire comprendre ce que signifie une mesure, Marie-Claude Guillet donne à différents groupes d’élèves des bandes de papier qu’ils doivent mesurer sans instrument… Peut-on le faire avec ses mains, ses pieds, la barrette que l’on a dans ses cheveux ? Les enfants émettent des hypothèses, testent différentes pistes… Pour préserver cet esprit, lorsque les élèves passent à la phase de représentation dans leur cahier, l’enseignante n’impose pas une forme particulière.«Cette exigence bloque les enfants. Peu importe qu’ils écrivent dans un petit coin de leur cahier ou sur toute une page », sou- tient-elle. Le travail en binôme est aussi mis en place car même s’il suscite parfois des conflits, il aide les enfants à comprendre que plusieurs cheminements sont possibles pour aboutir au résultat. Et cela permet à l’enseignante d’observer les élèves et éventuellement de les pousser un peu plus loin.
La méthode de Singapour convient aux écoliers qui ont besoin de temps pour assimiler les nouvelles notions comme à ceux qui avancent vite, car la difficulté des exercices est graduelle. Les supports visuels animés de calcul mental qui introduisent les cours sont projetés à des rythmes variés sur le tableau. La méthode insiste d’ailleurs sur les ruptures de rythme que l’enseignant doit intégrer à sa leçon afin de main- tenir l’attention des enfants ou les laisser se relâcher un peu. Même s’il n’existe pas de recette miracle pour enseigner les maths, selon les pro- fesseurs de Saint-Honoré-d’Eylau, où la mixité sociale et scolaire est forte, elle suscite chez les enfants moins de blocages ou de réticences… Les enseignants y trouvent aussi leur compte.
Une méthode intuitive et précise
« Comme beaucoup de professeurs des écoles, j’ai suivi des études littéraires. La méthode de Singapour est bien adaptée à mon profil car elle est intuitive et précise. Elle permet de se sentir rapidement à l’aise dans l’enseignement des maths», explique Camille Bernard. Les professeurs de Saint-Honoré- d’Eylau ont été initiés par la franco-américaine Monica Neagoy, docteure en didactique des mathématiques et papesse de la méthode de Singapour. « La formation, financée par Formiris, a duré quatre demi-journées et nous a donné une vision assez complète des différentes situations d’enseignement », affirme Nadège Doat. De plus, les professeurs ont suivi des tutos puis se sont entraînés à manipuler les outils avant de se lancer en s’appuyant sur le livre de l’enseignant. « C’est une méthode inspirante qui fait la part belle aux rituels d’apprentissage, renchérit Camille Bernard. Elle est progressive et très claire. J’aurais aimé en bénéficier durant ma propre scolarité… »