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Spécialités : un choix à anticiper

Lycée général et technologique EIC, Tourcoing (59)
Bertrand Lermytte, directeur délégué aux formations
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Depuis la rentrée, le lycée général et technologique EIC de Tourcoing (59) propose, en 2de, des packs inspirés des futurs enseignements de spécialité. Objectif : permettre aux élèves de tester les spécialités prévues par la réforme du lycée, avant de les choisir l’an prochain.

Par groupes de trois, les élèves de 2de ayant choisi le pack intitulé « Création et innovation scientifique », approfondissent leur projet : la conception d’un parc d’attraction. Celui qu’ont imaginé Meriem, Eva et Lucie, mêle animaux asiatiques, foot et sport. Ces trois élèves du lycée général et technologique EIC de Tourcoing (1 400 lycéens parmi les 6 200 élèves de l’ensemble scolaire), ont chacune une tâche bien définie pendant ces deux heures.

« Je travaille sur le cahier des charges et l’aspect économique », détaille Meriem. Eva se penche sur les normes environnementales du bâtiment. De son côté, Lucie doit réfléchir aux contraintes techniques des manèges. Comme tous les élèves en charge de la partie scientifique, Lucie rejoint Florian Martin, professeur de physique, dans un espace de la salle pour une présentation du principe de l’énergie cinétique et de l’énergie potentielle. Pendant ce temps-là, Marine Meynckens, enseignante en sciences économiques et sociales, et Aurélien Sarrato, professeur qui enseigne en STI2D (Sciences et technologies de l’industrie et du développement durable), aident les élèves restés devant leur ordinateur. Tous les trois animent le pack Création et innovation scientifique en co-intervention. « Lorsque les élèves ont besoin d’un apport théorique dans une de nos matières, nous les réunissons pour leur enseigner les notions requises, comme Florian à l’instant », explique le professeur de STI2D.

Donner le droit à l’erreur

Ces packs (cf. encadré) ont vu le jour en septembre 2018. Les élèves peuvent suivre deux packs, à raison d’un par semestre, ou un seul sur toute l’année. Représentant deux heures par semaine, chaque pack est travaillé sous la forme d’un projet interdisciplinaire. Avec, à la clé, un stage de trois à cinq jours, à effectuer chaque semestre, dans un domaine en rapport avec la thématique du pack. « Je ne suis pas très scientifique, mais j’ai quand même choisi ce pack justement pour voir si, à travers un projet, je me faisais une autre idée des sciences. Et comme j’adore les arts, le design et la cinématographie, je me suis aussi inscrite au pack artistique et numérique », explique Meriem.

Le lycée s’est inspiré du rapport Mathiot pour mettre en œuvre ce dispositif. Remises en janvier 2018 au gouvernement, les préconisations de Pierre Mathiot, ancien directeur de Sciences Po Lille, pour faire évoluer le baccalauréat, lui ont servi de fil rouge pour anticiper les mesures à venir. « Nous avons voulu donner le droit à l’erreur aux élèves. Nous leur proposons de tester, dès leur année de 2de, des enseignements qui pourraient être ceux des spécialités. Nous leur montrons comment associer des matières a priori très différentes, comme l’art et l’économie-gestion, à travers un projet », indique Bertrand Lermytte, directeur délégué aux formations. Objectif : prévenir la tentation des élèves, très naturelle, de recréer les filières S, ES, L, malgré leur disparition avec la réforme. « Cette tentation serait contraire à l’individualisation des parcours et à l’esprit de découverte que préconise le rapport Mathiot », pointe-t-il.

Le lycée a aussi mis en place un portefeuille de compétences et d’expériences, destiné à suivre l’élève jusqu’au bac. Chaque jeune est invité à compléter huit rubriques (culture, ouverture internationale, ouverture entrepreneuriale, social et humain…), pour faire valoir ses centres d’intérêt extrascolaires. Enfin, un oral d’orientation de vingt minutes sera organisé en fin de 2de, pour familiariser les élèves avec le grand oral introduit par le nouveau bac. Il leur permettra de tirer le bilan du choix de leurs packs et de leur immersion en entreprise. Et il les aidera dans leur projet d’orientation, en s’assurant qu’il est cohérent avec leur parcours scolaire et leur portefeuille de compétences. « Le choix des spécialités reviendra au jeune et à sa famille », précise Bertrand Lermytte.

Cohésion d’équipe

Pour parvenir à ce résultat, une première réunion de l’équipe pédagogique a eu lieu deux mois après la parution du rapport Mathiot. Principale difficulté : construire un emploi du temps respectant le choix de tous les élèves. Seules quatre classes sur quinze ont opté pour un pack unique, les autres ayant privilégié deux packs. « Nous ne consommons pas plus d’heures qu’avec les enseignements d’exploration », souligne Bertrand Lermytte. Les professeurs se sont ensuite réunis en juin pour définir le projet de chaque pack. « Bien sûr, cela nous a demandé un travail d’adaptation. La nouveauté réside surtout dans le fait de travailler en co-intervention au service d’un projet, mais c’est un challenge enthousiasmant », se réjouit Dorothée Lucas, enseignante dans le pack scientifique et responsable du niveau seconde. L’établissement a bénéficié de la culture d’innovation, insufflée depuis trois ans par ses journées pédagogiques : ateliers sur les nouvelles formes d’enseignement (classes inversées, renversées…), ou sur les techniques de créativité (cartes heuristiques, co-design, réalités augmentées, hackathon, escape game…), semaine sans emploi du temps… Ces initiatives ont renforcé la cohésion de l’équipe.

Quant aux familles, elles ont été informées dès les journées portes ouvertes de mars dernier. Avec des retours très positifs. « L’aspect concret, avec des projets qui donnent du sens aux packs, a été très apprécié. La seule inquiétude tient aux stages, liés au thème des packs. Mais nous avons rassuré les parents. L’entreprise choisie compte moins que l’angle à travers lequel on aborde le stage : l’art, par exemple peut être questionné à l’hôpital », illustre Bertrand Lermytte. Aujourd’hui, le lycée est confiant, même si tous les textes de la réforme ne sont pas encore sortis. « Le fait d’avoir pris les devants nous donne du recul », analyse le directeur délégué aux formations. Il veillera à conserver l’esprit du rapport Mathiot, malgré l’abandon de certaines de ses préconisations par le ministère de l’Éducation nationale.