Enfants

Apprendre le métier d’élève

Ecole Françoise d’Amboise à Vannes (56)
Patricia Roux, chef d’établissement
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© N. Fossey-Sergen

L’école maternelle et élémentaire Françoise d’Amboise, en périphérie de Vannes (Morbihan), accueille des élèves de trente origines différentes. Un mélange culturel que l’équipe valorise, tout en s’ouvrant à des familles plus aisées.

Il est 8 heures en ce mardi matin de mai et Patricia Roux, chef d’établissement de l’école Françoise d’Amboise, à Vannes, est déjà sur le pont : un élève tchétchène dont la famille a été déboutée de sa demande d’asile vient de passer la nuit dehors ; une maman d’élève demande à la voir d’urgence pour lui parler d’une bagarre dans la cité impliquant son fils… La journée, comme toujours, sera chargée. Dans cette école située en zone urbaine sensible – le quartier de Ménimur, au nord de la ville –, la mission de chef d’établissement déborde nécessairement le champ pédagogique. Consciente de la difficulté, la direction diocésaine du Morbihan lui a d’ailleurs attribué une décharge à 75%.

« Notre établissement a été construit en même temps que le quartier et la paroisse, il y a environ cinquante ans », explique Patricia Roux qui va faire ici sa quatrième rentrée. Dans cette école de la maternelle au CM2, entourée de tours d’habitations, les 280 élèves sont de trente origines différentes. « Françoise d’Amboise est située au cœur de la cité, et accueille à 95 % les enfants du quartier. Seuls une dizaine d’élèves ne sont pas de Vannes. » Aucun tri de dossiers pour y entrer. Patricia Roux souhaite que l’école reste le reflet de son bassin de population : culturellement métissée.

Sur les 280 élèves scolarisés à Françoise d’Amboise, 77 ont des parents d’origine française et 57 d’origine turque. Les autres ont des familles malgaches, mahoraises, congolaises, tunisiennes, marocaines, algériennes, géorgiennes, bulgares… La communauté turque est implantée à Vannes, et notamment à Ménimur, depuis de nombreuses années. Ainsi, beaucoup de mamans d’élèves turcs ont elles-mêmes été scolarisées à Françoise d’Amboise plus jeunes. Parce que c’est l’école la plus proche de leur logement mais pas seulement. « Des familles ont pu se sentir mal à l’aise avec la vision de la laïcité présentée dans le public. Elles se sont trouvé un point commun avec nous : l’importance de la foi », estime Anne- Lise Colineaux, enseignante de français langue étrangère (FLE).

Une forte communauté turque

La spécificité de son public a obligé l’école à s’adapter. « Le fait de gérer beaucoup de problèmes nécessite de ma part d’être très disponible et suppose que l’équipe pédagogique tourne », explique Patricia Roux.

En plus des seize enseignantes et cinq Asem (dont une d’origine marocaine et une autre turque), un poste de FLE a été créé il y a trois ans, financé par le Secrétariat général de l’enseignement catholique dans le cadre du Plan en faveur de la réussite éducative et des mixités. « C’est plutôt un dispositif allophone car il n’est pas destiné à des primo-arrivants (l’école n’en scolarise que trois ou quatre, ndlr), explique Anne-Lise Colineaux. J’accueille des enfants qui sont nés en France mais dont la langue maternelle n’est pas le français. C’est souvent le cas des enfants d’origine turque. » Elle cible avec les enseignantes les élèves qui ont besoin de son aide de la petite section au CE2. « Je les vois deux à trois fois par semaine par groupe de six maximum. Avec les maternelles, je travaille sur le vocabulaire. En élémentaire, j’axe plus sur la syntaxe. Plus on les prend en charge tôt, plus c’est efficace », détaille le professeur de FLE.

Soixante-dix enfants environ en bénéficient et les enseignants notent de vrais progrès depuis la création du poste. « On s’est aperçus que beaucoup d’enfants qu’on croyait relever de l’ASH1 avaient en fait de simples problèmes de compréhension de la langue », observe également Patricia Roux.

Formation transculturelle

Autre poste qui permet de soutenir le public de l’école : l’ASH, dont Marc Jehanno est en charge depuis deux ans. Il suit vingt-trois élèves de la grande section au CM2, soit en petits groupes dans une salle dédiée soit en co-intervention. « En cycle 2, on travaille pas mal la numération car ce sont souvent des élèves qui ne voient pas leurs parents utiliser les nombres. Je leur explique pourquoi ce sera utile plus tard. » Marc Jehanno est confronté à des difficultés liées à la spécificité de son public : « Certains enfants ont du mal à s’inscrire dans le groupe car pour eux, leur maison c’est la Turquie. Cette instabilité, renforcée par la coupure de trois mois de vacances au pays, ne leur permet pas de s’investir à fond ici. » Il aborde aussi la question du handicap avec prudence. « Il faut savoir comment le sujet est traité dans les cultures pour trouver les mots. Je me souviens d’un élève de CM2 pour lequel on avait demandé aux parents de faire un bilan neuro- psychique : le mot psychologue était tabou pour eux », déclare-t-il.

En 2017, toute l’équipe a suivi une journée de formation transculturelle avec Isam Idris, pédopsychiatre spécialiste des questions d’identité. Elle y a trouvé des clés pour mieux comprendre son public et décrypter les postures des parents. « Il nous a expliqué par exemple que les mamans turques qui n’apprennent pas le français et continuent à parler turc à leurs enfants ont souvent peur de perdre leur identité, se souvient Patricia Roux. On a besoin de comprendre ça pour travailler avec les élèves et les familles et, en même temps, c’est difficile d’analyser tous ces comportements avec une lecture culturelle. On peut avoir l’impression de s’éloigner de l’une des premières missions de l’École : l’intégration. » Consciente toutefois qu’intégration ne signifie pas rejet des origines et que « la langue maternelle reste la langue du cœur », la directrice héberge dans son école chaque vendredi soir, après la classe, un cours de turc organisé par l’inspection académique et financé par le Consulat de Turquie pour les enfants dont c’est la langue maternelle. Il est suivi par une vingtaine d’élèves. Le cœur du métier reste toutefois les apprentissages. Enseignante en grande section depuis trente ans dans l’établissement, Élisabeth Colineaux insiste sur l’importance de « garder le cap du pédagogique ». « Mon objectif, c’est que ces enfants apprennent à lire », souligne-t-elle. Avec ses autres collègues, elle s’est initiée à la pédagogie Montessori pendant une semaine. « Avec leurs difficultés vis-à-vis de la langue, la manipulation d’objets est plutôt adaptée », remarque-t-elle.

1,56 € le repas pour les familles les plus modestes

Patricia Roux travaille également à rapprocher les parents de l’école. « Les familles ne sont pas intrusives ici, elles font une grande confiance aux enseignants. Parfois trop. Du coup, on a parfois l’impression qu’elles ne s’investissent pas. » Pour les encourager à prendre toute leur place, le chef d’établissement a mis en place la « papothèque », un espace de parole avec les familles. Tous les deux à trois mois, elles viennent dans l’école rencontrer la directrice et l’enseignante de FLE autour d’un thème : comment se passe la rentrée ? ; qui peut aider mon enfant à l’école, avec un focus sur le travail des orthophonistes ; c’est quoi l’enseignement catholique ?…
Pour les enfants qui ne pourraient pas travailler à la maison ou bénéficier de l’aide de leurs parents, des temps d’études sont proposés à l’école.