Accompagner le virage numérique
Collège La Bruyère – Sainte-Isabelle, Paris 14e
Nicolas Fontenit
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À Paris (XIVe arr.), le collège La Bruyère – Sainte-Isabelle a développé un ambitieux projet numérique en équipant ses élèves de cycle 4 d’un iPad. Deux référents accompagnent les enseignants pour en faire le meilleur usage pédagogique possible et assurent une assistance technique auprès des jeunes, des professeurs et des parents.
Lors de son arrivée en septembre 2022, Thomas Peyrel, chef d’établissement au collège La Bruyère – Sainte-Isabelle, à Paris (XIVe arr.), a d’abord douté de l’intérêt du projet numérique initié par son prédécesseur. « La place des écrans me paraissait déjà assez importante dans la société… Mais quand j’ai vu à quel point le projet était bien pensé, j’ai été conquis. Ici, le pédagogique prime ! »
Depuis 2015, les élèves de 5e reçoivent en prêt, et jusqu’à la fin de leur 3e, un iPad pour travailler en classe et à la maison, moyennant une contribution de 210 € par an. Les enseignants, équipés eux aussi, l’utilisent pour une partie seulement de leur cours. Ils déposent leurs séquences en amont sur l’application Classroom, sorte de classeur virtuel, pour qu’elles soient accessibles aux élèves durant l’heure de cours. Et les collégiens se rendent le soir sur l’application École directe pour connaître la liste de leurs devoirs mais les font le plus souvent avec cahier et stylo. Depuis le « Bureau numérique », situé au premier étage du collège, Marie Estrade et Nicolas Fontenit, les deux référents numériques, gèrent tous les aspects techniques et, si besoin, pédagogiques de ce projet d’envergure. « On accueille les enseignants qui ont besoin d’un conseil pour recourir au numérique lors d’une séquence pédagogique, ou installer une appli qui leur paraît utile. On assure aussi auprès des élèves, entre 13 h 30 et 14 h, le SAV des iPad cassés ou bloqués… », explique Marie Estrade, qui a participé au développement du projet. L’année dernière, par exemple, elle a aidé une enseignante à créer avec ses élèves un audioguide pour une exposition au sein de l’établissement, en faisant enregistrer aux élèves des commentaires d’œuvres à voix haute.
L’arrivée de l’iPad a plutôt été bien vécue côté enseignants : ils l’ont reçu six mois avant les élèves et ont été formés à ses usages durant plusieurs jours. « Il y a eu bien sûr des inquiétudes : que la séance de cours s’effondre si l’outil ne fonctionne pas, ou que l’élève ne travaille pas vraiment… Mais ils avaient une grande liberté pédagogique », précise Marie Estrade.
Se balader dans Détroit grâce à Google Earth
Les professeurs peuvent n’utiliser la tablette que pour projeter leur cours au tableau. C’est le cas de Guillemette Loisel, qui, en ce mardi de février, après avoir créé sa séquence sur l’agriculture biologique pour ses 5es sur l’appli Pages, utilise son iPad pour la projeter alors que la tablette des élèves reste elle, au fond de leur sac, le cours étant à recopier sur un cahier.
D’autres enseignants insèrent sur Classroom des capsules vidéo, des liens pour y chercher des informations… ou, comme Christel Mallet, créent un escape game. Cette professeure de SVT, tombée dans la marmite du numérique pendant le confinement, a imaginé une chasse au trésor virtuelle pour découvrir les scientifiques qui ont fait progresser nos connaissances sur le système digestif. Sur leur iPad, les élèves retrouvent son escape game via l’appli Genially, rassemblant des jeux de labyrinthe, des schémas à remplir… « Cela représente une semaine de boulot. C’est du temps, mais je m’éclate et surtout, j’observe que le jeu fait apprendre. Ils retiennent mieux en cherchant eux-mêmes les réponses », note l’enseignante. Baptiste, en 5e, apprécie de ne pas avoir à prendre de notes, le cours étant accessible n’importe quand depuis sa tablette : « J’écoute mieux et suis plus concentré quand je n’ai pas à écrire en parallèle. » Il peut aussi faire des captures d’écran des parties du cours qui lui semblent importantes, imprimer la feuille et la coller dans son classeur (physique), qui est organisé de la même façon que les séances sur Classroom. Pour autant, Christel Mallet fait toujours attention à ne pas laisser l’écrit de côté pour éviter que les élèves « deviennent passifs ». Après avoir résolu les énigmes sur l’escape game, les élèves retranscrivent les réponses à la main sur un document papier.
En plus d’être référent numérique, Nicolas Fontenit enseigne l’histoire-
géographie. Il est passionné par le sujet et fait partie des professeurs qui vont encore plus loin dans le numérique. Dans le cours sur les villes-mondes qu’il donne à des 4es, il leur demande par groupes de comparer Détroit, Londres et Paris, via une série d’informations accessibles sur leur tablette et de s’y balader en rentrant des coordonnées GPS sur Google Earth. La classe travaille en silence, chacun sur sa tablette mais en collaboration. Avec un vérificateur de décibels qui donne des malus s’il monte trop dans le rouge, Nicolas Fontenit se contente de naviguer entre les groupes si besoin. « C’est un outil qui permet aux enseignants d’être plus interactifs et qui oblige à changer de posture », estime-t-il.
Pour Domitille Marie, enseignante d’histoire-géographie, ce travail avec le numérique rend le cours « plus ludique, plus immersif, plus parlant » grâce à la multitude de ressources qui peuvent être proposées à l’élève, à la fois visuelles, sonores, écrites… mais requiert une certaine organisation : « Déposer les activités prévues en début de cours sur Classroom, ne pas y mettre les devoirs hors des horaires et sans avoir prévenu avant les élèves sinon certains risquent de ne pas avoir tous les éléments… » Selon Marie Estrade, le numérique facilite l’acquisition des soft skills, notamment l’aisance à l’oral via la fonction dictaphone de l’iPad, mais aussi la collaboration, qui peut être évaluée plus finement, et soutient la motivation des élèves. « La tablette est aussi très efficace pour les élèves à besoins éducatifs particuliers. Ils peuvent équiper leur iPad d’un clavier pour faciliter la prise de notes, prendre le tableau en photo, grossir la lecture sur l’écran, sans se sentir décalés par rapport aux autres. »
Les parents accompagnés
Cela a demandé toutefois une préparation des parents. Une réunion en début d’année leur en a expliqué le fonctionnement, des tutos leur sont envoyés pour s’acculturer aux outils et pouvoir accompagner leurs enfants le soir dans leurs devoirs. Une fois par trimestre, des cafés organisés par l’Apel sont l’occasion d’échanger sur la gestion des écrans à la maison. Certains enfants, comme Raphaëlle, en 5e, ne rouvrent plus leur iPad de la soirée une fois les devoirs faits ; d’autres, au contraire, dépourvus de téléphone, ont du mal à lâcher l’appareil. Mais là encore, les deux référents numériques ont la parade : en plus de configurer le wifi familial pour encadrer le temps passé sur Internet, ils recommandent l’appli gratuite Jamf Parents, qui permet de restreindre l’accès aux applis de l’iPad sur des créneaux horaires précis.