enfants dans une école

Quand l’école défie les écrans

École Sainte-Jeanne-d’Arc à Patay (45)
Valérie Levallois, chef d’établissement
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classe d'école
V. Leray

Jeux vidéo, télé, ordinateur, réseaux sociaux… L’école Jeanne-d’Arc, à Patay (45), a proposé l’an dernier une campagne de prévention, de la maternelle au CM2, pour éduquer ses 103 élèves à un usage raisonné des écrans, compatible avec une bonne hygiène de vie

Axelle s’est aperçue qu’elle passait bien plus de temps à chatter dans sa chambre qu’à jouer dehors. Hugo comprend mieux pourquoi respecter la signalétique sur l’âge requis pour jouer à un jeu vidéo. Zoé a redécouvert le plaisir des après- midis jeux de société en famille. Quant à Coralie, elle a remarqué qu’elle se sentait beaucoup moins fatiguée lorsqu’elle ne s’endormait pas devant la télé… Voici les principaux enseignements retenus par des élèves de CM1 et CM2 de l’école Jeanne-d’Arc, à Patay (Loiret), qui a organisé l’an dernier une campagne de sensibilisation aux usages des écrans. Une opération qui a donné lieu à de multiples prises de conscience, à tous les niveaux…
Tout a débuté il y a deux ans, lorsqu’un conflit a éclaté sur le réseau social adolescent Snapchat, polluant les relations entre un groupe de filles de CM2. « On s’est trouvés confrontés à une difficulté qui avait un fort retentissement à l’école, même si elle dépassait largement son cadre. Le problème a été débattu en conseil d’école et lors d’une concertation avec l’Apel… Sur ces entrefaites, l’antenne départementale de l’Ugsel, [la fédération sportive et éducative de l’enseignement catholique, ndlr], a proposé une formation sur les écrans que nous avons pu suivre en équipe. Cela nous a conduits à inscrire cette problématique dans une dimension de prévention santé plus large, en choisissant, comme thématique d’année “Bien être à la maison pour bien vivre à l’école ” », détaille Valérie Levallois, le dynamique chef d’établissement.

Une psy à la rescousse

Un membre de l’Apel met alors la directrice en relation avec Nathalie Temps. Cette psychothérapeute qui s’intéresse aux addictions aux écrans, accepte d’engager une action d’envergure financée par l’association des parents d’élèves. Après une séance de sensibilisation des équipes, Nathalie Temps rencontre chaque classe en demi-groupe en adaptant son propos à chaque tranche d’âge. Enfin, elle assure un débriefing avec les enseignantes ainsi qu’une conférence de restitution à destination des familles. « Les parents ont apprécié ce compte rendu ni moralisant ni culpabilisant. Certains ont pris des résolutions pour limiter la télévision pendant les repas ou dans la chambre des enfants. Pour ma part, cela a conforté le discours que je tiens à mes enfants, qui ont constaté qu’il était partagé par leurs enseignants mais aussi par des professionnels de santé », se réjouit Virginie Auvray, présidente de l’Apel de l’école.
Les interventions de la psychothérapeute auprès des jeunes ont été encadrées par deux périodes de vigilance aux écrans. Durant une première semaine, il s’agissait surtout de comptabiliser le temps qui leur était consacré, de dresser un diagnostic, questionnaire papier à l’appui, en vue d’une semaine de limitation programmée plus tard. « Les effets du défi ont été très variables. Parfois, il a provoqué des prises de conscience, certaines familles réalisant que leurs enfants cachaient leur tablette sous l’oreiller… Cela m’a aussi aidée à prendre la mesure du problème. J’ai décidé d’aborder systématiquement la question du rapport aux écrans dans les réunions et les entretiens individuels avec les parents », analyse Annabelle Hiault, enseignante des CE1-CE2. Sa classe compte au moins un quart d’enfants en surconsommation d’écrans. « Ils régulent moins bien leurs émotions, recourent plus facilement à la violence et présentent pour certains des problèmes d’absentéisme et de concentration liés au manque de sommeil. », constate-t-elle. En faisant passer son message de prévention, l’opération « Bien-être » a contribué à désamorcer le conflit surgi il y a deux ans entre des élèves jouant en réseau. Les CM2, qui valident leur brevet Informatique et Internet avec la gendarmerie, ont aussi pu faire des liens avec les bons usages du web, tels que les précautions à prendre pour protéger leur identité numérique à l’aide de pseudos, et en ne laissant filtrer aucune information personnelle. D’un commun accord, Léo et Alexandre ont ainsi blacklisté « Jean-Pierre, 35 ans, un ami en ligne qui n’en était pas vraiment un puisqu’on ne le connaissait pas réellement », confient-ils.

Pauvreté du monde virtuel

En maternelle, la sensibilisation précoce a aussi porté des fruits. Nathalie Temps a fait compléter aux tout-petits une frise du temps avec leurs activités quotidiennes. Elle permet de repérer assez vite ceux qui ont déjà le réflexe « écran » et de leur proposer une alternative. « Nous leur avons suggéré une autre animation : comparer un gâteau au chocolat réel et sur tablette. Elle leur fait toucher du doigt la pauvreté sensorielle du monde virtuel », s’enthousiasme Valérie Levallois qui a tenu à resituer ces animations dans une dimension plus large, un médecin généraliste ayant expliqué en classe l’impact du sommeil et de la nutrition sur le cerveau, les apprentissages et la santé.
Pour lutter contre la sédentarisation, favorisée par l’addiction aux écrans, des actions concrètes sont aussi proposées aux enfants, comme un cross organisé avec la base militaire voisine. Sans oublier une marche de trois kilomètres pour le Parcours du cœur, une opération inscrite au plan national par l’Ugsel et la fédération de cardiologie française. Cette dernière entend ainsi alerter sur les dommages qu’engendre l’inactivité physique, l’ensemble de la population des jeunes ayant perdu un quart de leurs capacités cardiovasculaires en quarante ans. Polymorphe, multipartenariale et touchant les élèves de la maternelle au CM2, la campagne « Bien- être » de l’école Jeanne-d’Arc a été l’une des actions présentées lors du 1er Forum santé prévention, organisé à Paris le 3 avril dernier par l’Ugsel.
L’école a poussé la cohérence jusqu’à élaborer collégialement une charte numérique. Signée par chaque élève, elle aborde, dans un vocabulaire accessible et assorti de vignettes illustrées, les usages des ordinateurs, le respect du matériel et des personnes. Elle rappelle aussi que tout sur le web peut être sujet à caution et que les contenus inappropriés doivent être signalés. Ce support commun d’éducation à l’ère numérique servira cette année de base à un projet davantage orienté sur la concentration et la découverte des apports des neurosciences.

Dix jours sans écrans

Classe à l'extérieur
École Jeanne-d’Arc

Si l’école Jeanne-d’Arc, à Patay (45),
a opté pour une opération de prévention douce, limitant les écrans sans les interdire, de nombreux défis « 10 jours sans écrans » sont organisés dans les établissements catholiques. Théorisée par l’enseignant québécois Jacques Brodeur, et relayée en France par le pédopsychiatre Serge Tisseron, cette démarche fait de plus en plus d’émules. Ainsi depuis deux ans, dans le diocèse de Bayonne, en mai, plus de 4 500 élèves du privé, mais aussi du public, relèvent ce défi, une plateforme numérique leur proposant des ressources théoriques et pédagogiques pour mener cette action de sensibilisation fédératrice. Un autre exemple, en Vendée, où l’association
Les chevaliers du web propose aux établissements du territoire son appui pour mener des opérations similaires.