E-sport, un tremplin pour les apprentissages

Collège du Saint-Sacrement, Aigrefeuille-d'Aunis
Lionel Redon, chef d’établissement
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Le collège Saint-Sacrement d’Aigrefeuille-d’Aunis, en Charente-Maritime, a lancé, en 2021,un atelier e-sport qui développe de nombreuses compétences transversales. Une première dans l’enseignement catholique, plébiscitée par vingt heureux élus.

Les jeux vidéo ont longtemps été jugés nocifs pour les adolescents. Ils représentent aujourd’hui une discipline à part entière, encadrée et reconnue internationalement : l’e-sport. De nombreux jeunes la pratiquent, maladroitement. En s’entraînant seuls, ils se confrontent à de mauvaises attitudes et à la haine en ligne. C’est le constat fait par Lionel Redon, chef d’établissement du collège Saint-Sacrement, à Aigrefeuille-d’Aunis (17) : « Le lundi matin, je gérais des conflits qui avaient eu lieu le week-end lors des matchs sur Fortnite ; les élèves voulaient régler leurs comptes. » À la rentrée 2021, il décide de se confronter au problème et d’éduquer les élèves au sport numérique. Deux ans et demi plus tard, le pari est gagné, comme en témoigne Tiago, en 5e, qui participe à l’atelier e-sport : « Ça m’a aidé à ne pas m’énerver quand je perds ; j’ai appris à ne pas répliquer. »

Cet élève fait partie des vingt jeunes admis, tous niveaux confondus, parmi les quarante dossiers déposés. Sous réserve de leurs bons résultats scolaires, les adolescents sont sélectionnés sur la base d’un test de motivation qui permet aussi de sonder leur état d’esprit. À la question « Que représente pour toi l’e-sport ? », les élèves ayant cité le terme « respect » ont été préférés à ceux qui n’ont évoqué que le jeu.

Un atelier ludopédagogique

« E-sport » rime avec rigueur. Mais certains collégiens sont les premiers étonnés de la discipline que l’activité requiert. « Quelques élèves de 6e s’en vont rapidement quand ils se rendent compte de notre niveau d’exigence », constate Lionel Redon. L’atelier a ainsi déjà « perdu » deux élèves de la promo de 2023.
« On explique aussi aux élèves qu’un sportif s’entraîne un peu, puis qu’il se repose ! », insiste Jean-Louis Lepéchoux, le professeur de technologie qui encadre l’atelier depuis la rentrée de septembre. Sans oublier qu’il faut savoir gérer ses priorités. Nathan, un élève de 5e, l’a bien compris : « En un, je fais mes devoirs, en deux, mon sac, et après je peux jouer aux jeux vidéo ! », récite-t-il comme un mantra.
Outre le fair-play et la rigueur, cet atelier permet de développer ses capacités d’observation, d’analyse critique, de concentration ou encore la cohésion de groupe : des compétences transversales bien utiles durant sa scolarité. En fait, dans le jeu vidéo, « il faut savoir prendre une direction, appliquer une stratégie et, qu’elle soit bonne ou mauvaise, en tirer des conclusions en analysant le jeu », explique Dominique Godinau, l’ancienne animatrice de l’atelier, désormais professeure de Commerce au lycée Fénelon de La Rochelle (17). L’enseignante a participé au lancement du e-sport au collège, car elle connaît bien le sujet : « Je jouais déjà et je voulais pouvoir leur transmettre ce que sont l’esprit d’équipe et le respect d’autrui. » Elle a également suivi une formation en ligne pour connaître l’histoire du e-sport, une discipline qui tâtonnait depuis les années 1960, et maîtriser les enjeux de cet univers en pleine expansion.
Par ailleurs, l’e-sport s’est rapidement imposé comme un moyen d’apprendre différemment, à commencer par les langues étrangères. « Les jeux sont souvent en anglais, alors parfois je mets Fortnite en version originale à la maison pour enrichir mon vocabulaire », précise Anton, en 5e. Ce jeu plébiscité par les jeunes est considéré trop violent pour être joué à l’école. Alors au programme du jour, c’est Rocket League, un jeu de sport !
Entre amusement et apprentissage, cet atelier entre dans le cadre de la ludopédagogie, que Lionel Redon souhaite promouvoir dans son collège. Le chef d’établissement a ainsi banalisé deux heures dans l’emploi du temps des élèves. Le jeudi de 15 h à 17 h est dédié aux ateliers e-sport, bien sûr, mais aussi au théâtre, au chant, au sport, aux jeux de société, etc.

S’initier à la programmation

Ce temps ludique dans l’enceinte du collège permet de valoriser des élèves rencontrant des difficultés scolaires. Jean-Louis Lepéchoux a remarqué que « les difficultés des élèves dys en informatique se lissent » quand ils participent à l’atelier e-sport. C’est justement le cas d’Anton, qui a également un trouble de l’attention. « Je trouve que je suis plus organisé, ça m’aide pour la lecture et aussi à ne pas me disperser », remarque-t-il. Avec Tiago, Anton a d’ailleurs créé un jeu vidéo, un jour où ils « s’ennuyaient en permanence ». Une créativité que l’équipe éducative encourage car Jean-Louis Lepéchoux l’assure : « Les meilleurs designers de jeu sont français ! » Dans cet atelier, il n’est pas uniquement question de jouer. La classe, divisée en demi-groupes, passe la première heure dans la salle dédiée au e-sport, et la seconde en salle informatique où ils s’initient à la programmation.
D’autres modules ponctuels prévoient d’enseigner aux élèves à réparer de vieux ordinateurs sur lesquels leur enseignant a créé un problème informatique. On leur propose aussi de faire une veille numérique pour s’informer correctement, ou de découvrir tous les métiers qui gravitent autour de l’e-sport. Les élèves apprennent qu’ils peuvent travailler dans les secteurs de l’animation, de la sonorisation, ou encore être nutritionnistes ou kinésithérapeutes tout en participant à des compétitions d’e-sport. « Cela leur permet d’élaborer un projet professionnel en lien avec ce qu’ils aiment faire », explique Dominique Godinau.

Pérenniser le projet

Jean-Louis Lepéchoux souhaite, quant à lui, donner à ses élèves « le goût de la technologie par le jeu ». Il les sensibilise à tous les métiers de l’informatique, un secteur d’avenir. Il anticipe la hausse du recrutement et conseille ses élèves en ce sens. « Depuis quarante ans, l’informatique est le domaine qui a le plus évolué : on est passé du Minitel à l’intelligence artificielle ! », pointe l’enseignant.
L’atelier e-sport est la première étape du projet de Lionel Redon. « Dans mon doux rêve, j’aimerais que l’on ait une équipe dans chaque établissement pour pouvoir organiser des compétitions inter-écoles, avoue le directeur du collège. Après tout, on participe bien à des compétitions de l’Ugsel ou de l’UNSS, alors pourquoi ne pas faire la même chose avec
l’e-sport ? »
Pour cela, il faudrait d’abord que ce ne soit plus un atelier, mais une option. Reste que la patience est de mise car cette discipline n’est, selon lui, « pas encore entrée dans les mœurs ». Le collège Saint-Sacrement n’a d’ailleurs pas pu bénéficier de subventions pour financer son atelier. En investissant
6 000 à 8 000 euros sur fonds propres, la salle e-sport a été équipée de six sets de matériel performant : des tours informatiques puissantes, des écrans haute définition, des casques audio avec une bonne qualité sonore, ou encore des sièges de « gamers » ergonomiques.
Et pour l’entretien, c’est le chef d’établissement lui-même, passionné d’informatique, qui s’occupe de la maintenance. « On fait ainsi des économies… Vous verriez mon bureau, il y a des ordinateurs partout ! », plaisante-t-il. Lionel Redon a opté pour la stratégie des petits pas : il prévoit de mettre en place une passerelle entre son collège et le lycée rochelais Fénelon afin d’établir une continuité dans la formation de ses élèves. Les futurs lycéens y retrouveront peut-être Dominique Godinau, qui les a formés en 6e. Et si les compétitions organisées feront certainement rage, ce sera dans un bon esprit et dans le respect de chacun.