Classe au bout du monde

Ma classe du bout du monde

Collège Saint-Tudy, île de Groix
Nicolas Carré, Chef d'établissement
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Sur l’île de Groix, au large de Lorient, le collège Saint-Tudy accueille vingt-neuf élèves. Soucieux d’assurer sa pérennité, il mise sur une pédagogie innovante pour attirer de nouveaux collégiens. Les jeunes y travaillent par cycles, avancent à leur rythme et développent une grande autonomie.

Au collège Saint-Tudy, sur l’île de Groix (Morbihan), à quarante-cinq minutes de Lorient en bateau. Soizig Le Moullac (photo), la dynamique enseignante d’EPS et de SVT, donne les consignes aux élèves pour le cours de sciences en plein air qui les attend. Il est 9 h 15 et les jeunes enfourchent leur vélo pour prendre la direction du petit village de Locmaria. Pendant deux heures, bottes aux pieds et mains dans l’eau, ils découvrent l’estran : ses ormeaux, ses berniques, ses crabes qu’ils apprennent à distinguer selon la forme de leur carapace… Avec le soleil bien présent en cette journée d’octobre, la scène a tout d’un petit paradis. Sur ce confetti de terre de 8 km sur 3, composé de landes, falaises abruptes et criques cristallines, 2 300 habitants vivent à l’année. Parmi eux, une cinquantaine de collégiens, dont vingt-neuf sont scolarisés à Saint-Tudy. Le collège a accueilli jusqu’à 120 élèves dans les années 1980, mais leur nombre a progressivement baissé en raison de la déprise démographique. Quand Nicolas Carré en prend la direction il y a cinq ans, après avoir quitté Paris pour retrouver l’île où il est né, il découvre une classe par niveau. « Il fallait proposer autre chose pour tirer avantage des faibles effectifs par classe », se souvient-il. En 2018-2019, il teste plusieurs aménagements. Il mutualise le cours de français pour les 6es-5es – un choix qu’il ne gardera finalement pas – et instaure un co-enseignement sur ces créneaux. En 2019-2020, cette modalité prend plus d’ampleur, avec notamment la mise en place d’un pôle science et d’un pôle sport, communs en cycle 3. En parallèle, il mûrit le projet au contact de pairs rencontrés à l’École des cadres missionnés (ECM) qui lui parlent de leur expérience de travail par cycles.

Retrouver une dynamique de groupe

« Le confinement a joué un rôle d’accélérateur, poursuit le chef d’établissement. Les élèves ont développé leur autonomie avec les cours en distanciel. » En juin 2020, il expose à son équipe son projet finalisé de travail par cycles et de co-enseignement. Nicolas Carré est attaché à « retrouver une dynamique de groupe, essentielle dans une classe. Ici, la seule manière de la créer était de faire travailler ensemble élèves et enseignants. » L’idée : des niveaux mélangés dans une logique de cycle. Les 5es-4es-3es fonctionnent ensemble, mais en parcours individualisé. À disposition dans la classe, des classeurs leur permettent d’avancer à leur rythme dans chaque matière. L’enseignant, toujours en binôme avec un collègue d’une autre matière, navigue entre les élèves pour répondre à leurs questions et leur proposer des exercices. « Cela n’a pas été facile de changer notre façon de faire. Nous y sommes allés progressivement. Mais pour moi, c’est une chance de finir ma carrière avec un tel projet ! », confi e Christine Fiselier, enseignante de lettres, installée à Groix depuis quatorze ans. Convaincu que « la réflexion se fait dans le mouvement », Nicolas Carré a repensé l’utilisation de trois salles situées en enfilade pour optimiser les locaux devenus trop grands. La première, dite d’autonomie, est dédiée au travail de groupe : les élèves sont libres de bouger et de parler. Une deuxième salle de coopération, plus calme, permet de voir une notion en petits groupes ou de mener une remédiation. Enfin, un troisième espace de silence, qui fait également CDI, accueille les élèves qui veulent lire, faire un devoir, une évaluation choisie, ou simplement s’isoler. Les 6es, qui font partie du cycle 3, « sont la plupart du temps entre eux. On souhaite leur laisser le temps d’appréhender le fonctionnement du collège et de gagner en maturité », précise le directeur. Ils partagent cependant un certain nombre de cours (EPS, sciences, anglais) avec les CM1 et CM2 de l’école Saint-Tudy et participent parfois à des séances du cycle 4 pour s’acclimater progressivement. En avril 2021, le projet, qui commence à se roder, a été présenté aux parents. D’abord un peu méfiants, ils y ont finalement adhéré grâce aux portes ouvertes organisées en classe. « Ils ont vu que les élèves travaillaient et que nos petits effectifs permettaient une vraie créativité pédagogique », estime Nicolas Carré.

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©NFS

Plus de flexibilité, moins de discipline

13 h 30 : comme chaque jour, c’est le quart d’heure de lecture. Un moment de calme bénéfique avant le retour en classe. Dans la salle d’autonomie, le cours de mathématiques commence pour le cycle 4. Chacun s’installe à sa table et se met au travail. Aurélien Lordon, qui enseigne plusieurs matières, comme beaucoup de ses collègues (il n’y a que deux temps pleins dans le collège), débute sa huitième année à Saint-Tudy. « Des 4es travaillent sur Pythagore, d’autres sur le rapport vitesse/distance/temps en faisant des exercices sur ordinateur ; des 5es revoient en binôme le chapitre sur les angles ; une élève a choisi de recommencer son évaluation sur un point de cours… Chacun sait ce qu’il a à faire, avance à son rythme et m’appelle si besoin », détaille le professeur de mathématiques, technologie et sciences, accompagné pour la séance par Christine Fiselier, en appui sur le plan méthodologique. « Cela demande un gros travail de préparation, car il faut proposer des supports simples et clairs pour que l’élève puisse travailler au maximum en autonomie, explique-t-il. Mais je suis bien plus à l’aise dans ce mode d’enseignement, qui laisse les élèves progresser à leur rythme. Autre point positif, je n’ai aucune discipline à faire, je dois juste être très flexible et les enfants sont bien plus actifs. » Les élèves récupèrent en classe des polycopiés et y trouvent des plans de travail associés à différents supports et outils (éléments de cours, exercices pratiques, QR codes leur donnant accès à des vidéos en ligne qui étayent un point précis). Pour corriger leurs exercices, idem. Tout est fait pour les rendre le plus autonomes possible. Les élèves semblent apprécier ce mode de travail. Pol, en 5e, savoure l’école « sans être stressé ». Khiara, en 4e, aime bien cette façon d’étudier : « On nous laisse faire, prendre le temps dont on a besoin pour acquérir une notion ». Après un an de fonctionnement, le projet semble bien accompagner les collégiens vers la réussite. Les sept élèves de 3e de l’an dernier ont eu leur brevet, dont six avec mention bien ou très bien. En septembre, les douze élèves de CM2 de l’école Saint-Tudy ont choisi de poursuivre au collège et un élève de 6e s’est inscrit spécifiquement pour ce projet. Prochaine étape pour Nicolas Carré : réécrire le projet d’établissement à la lumière de cette pédagogie nouvelle et intégrer de nouveaux locaux plus en phase avec la démarche. Un chantier immobilier est prévu pour 2024.En attendant, Tao, Johane, Raphaël, Anouk… profitent de la douceur de vivre groisillonne avant de quitter l’île un jour pour entrer au lycée. « Je n’ai pas hâte, souffle Khiara, j’ai déjà la flemme à l’idée de me lever plus tôt pour prendre le bateau ! »