Ma classe au cœur de la forêt

Ecole Saint-Régis, à Saint-Alban-sur-Limagnole (48)
Gaëlle Trauchessec
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Enfants dans la forêt
© N. FOSSEY-SERGENT

En Lozère, la petite école Saint-Régis, à Saint-Alban-sur-Limagnole, fait parfois classe dehors.
La nature devient un support d’apprentissage mais aussi un terrain d’exploration, de jeu et d’autonomisation. Les élèves adorent.

Il est 9 h 30 à l’étang de la Rouvière, situé à quelques kilomètres de Saint- Alban-sur-Limagnole, petite commune de Lozère. Il fait à peine dix degrés mais un grand soleil perce à travers les arbres. Les élèves de l’école Saint- Régis, bonnet sur la tête et bottes aux pieds, arrivent à tour de rôle, déposés en voiture au cœur de la forêt par leurs parents. Car aujourd’hui, l’école, c’est dehors ! « C’est la quatrième fois qu’on vient ici, explique Gaëlle Trauchessec, directrice de ce petit établissement rural depuis septembre dernier. Après avoir vu un reportage à la télévision sur les vertus de l’école en extérieur, je me suis documentée. J’en ai parlé aux enseignantes, toutes étaient partantes. On a lu, commandé des manuels pour intégrer cette pédagogie (cf. encadré) et on a fait une première séance pour toutes les classes en octobre, qui a été un vrai succès. » Tout en gardant un œil sur les élèves qui courent déjà partout, la directrice fait un point sur les ateliers de la journée avec les enseignantes et Alexandre Burtin, un guide nature. Les cinquante-quatre élèves des quatre classes (PS/MS, GS/CP, CE1/CE2, CM1/CM2) sont tous présents. Et pour certains, accompagnés de leurs parents, invités à venir voir de plus près ce projet original.

Tous les sens sont sollicités

Après avoir entonné en chœur une chanson sur la nature, les élèves se répartissent par classes dans les différents ateliers. En lisière de forêt, les CM1-CM2 de Gaëlle Trauchessec s’installent sur des rondins de bois face à un tableau noir – un espace aménagé par la mairie, qui soutient l’initiative. Après un temps de silence, durant lequel ils doivent se concentrer sur ce qu’ils entendent, sentent et voient, la séance commence. « J’ai accroché aux arbres des pancartes avec des expressions en lien avec la nature : “Qui sème le vent récolte la tempête” ; “C’est l’arbre qui cache la forêt”… Je voudrais que vous les mimiez, où vous voulez, en vous aidant de ce que vous trouvez autour de vous. », suggère Gaëlle Trauchessec. Seule règle : n’arracher que ce dont on a réellement besoin et ne pas perdre de vue un adulte quand on s’enfonce dans le sous-bois. À une vingtaine de mètres de là, agenouillés autour de l’étang, les grandes sections et les CP d’Alexandra Vielledent sont en pleine découverte de la vie aquatique locale ! Fascinés par ce qu’ils viennent de pêcher avec leurs passoires, ils courent vers le guide nature pour lui montrer leurs trouvailles. Dans un bac rempli d’eau, têtards, larves de libellules, tritons, sangsues… s’agitent sous le regard curieux des enfants. Alexandre Burtin, qui intervient pour la troisième fois grâce à une subvention du département, glisse les animaux dans des boîtes grossissantes pour permettre aux petits de les examiner de plus près. Il passe ensuite à une partie plus théorique, aidé de ses ouvrages d’identification des insectes de la mare. « Travailler sur le vivant les accroche. On sent un besoin chez les ruraux, autant que chez les citadins, de se reconnecter à la nature, de mieux la connaître. C’est probablement une des retombées positives du confinement», observe le guide. Il a créé une société – Un rêve de balbu – il y a un an à peine, qui est déjà très sollicitée pour des animations scolaires, signe d’un engouement pour la pratique. «La nature développe la coopération entre les élèves », poursuit le naturaliste. Ce que confirme la directrice : « Quand on est dehors, il n’y a plus de conflits entre élèves. Ils jouent davantage ensemble, ne s’ennuient pas…» Et de fait, constamment occupés, les enfants apprennent et expérimentent tout en se dépensant… Il leur faut ramasser une pomme de pin afin de comprendre le principe des unités en mathématiques. Ou encore trouver par terre de quoi décorer leur cahier lors d’un temps solitaire, chacun dans « son coin nature », au pied d’un arbre, dans une cabane, sur un tapis de feuilles…

Le corps en mouvement

Les bénéfices de l’école du dehors pour le développement des enfants sont nombreux : ils sollicitent tous leurs sens, augmentent leur concentration, et renforcent aussi leur intelligence kinesthésique (le rapport au corps, au mouvement). La créativité et la solidarité entre les élèves se développent ainsi que le sens et le plaisir de l’effort physique, un point important pour leur santé. Enfin, l’environnement lui-même, le vert d’un pré ou de la forêt, la sensation du vent sur la peau, sont, on le sait, source d’apaisement. Pour les enseignantes, faire classe dehors impose certes un certain lâcher-prise (laisser les enfants se salir ou prendre quelques risques en grimpant aux arbres), mais est aussi plus agréable. « Le niveau sonore n’est pas le même, on a moins besoin de crier, note l’une d’elles. Et les enfants s’autonomisent énormément », ce qui est encouragé notamment par le jeu libre, pilier de la pédagogie par la nature. Les petits se munissent de cuillères, fourchettes, gants de jardinage avant de s’aventurer dasn la forêt pour creuser, racler, fouiller seuls ou entre copains, construire une cabane, patauger dans la gadoue.

Côté parents, cette classe d’un nouveau genre semble séduire : Amandine Gras, maman d’Ulysse, en CM2, voit son fils « aimer de nouveau aller en classe alors qu’il avait tendance à faire l’école buissonnière ! ». Gaëlle Trauchessec remarque également qu’après une journée dehors, les élèves racontent plus facilement ce qu’ils ont fait le soir à leurs parents, ce qui contribue à resserrer le lien familial. Après un pique-nique «zéro déchet», composé de sandwichs emballés dans un torchon ou rangés dans une boîte réutilisable, place aux jeux de société pour un temps plus calme, avant de participer au dernier atelier de la journée. Francis Laversanne, l’intervenant musique mis à disposition par la mairie de Saint-Chély-d’Apcher, une commune voisine, vient d’installer des instruments en matériaux de récupération : des xylophones réalisés avec des planches de parquet, des timbales faites de simples ardoises ou de pots de fleurs… « Ces éléments nous viennent de la terre, car tout peut être un instrument », souligne cet ancien ingénieur forestier, qui apprécie de pouvoir animer ses ateliers à l’extérieur. « Le son part dans la nature et quand dix-sept enfants jouent ensemble, c’est bien plus supportable ! », sourit-il. Les élèves endossent à tour de rôle le costume de chef d’orchestre et apprennent à diriger et écouter.

À 16 h 30, les premières voitures des parents qui n’ont pas assisté aux activités apparaissent. Gaëlle Trauchessec fait un bilan de la journée avec les petits. Le témoignage de Mylan, en CM1, dit tout ce que cette pédagogie peut apporter à un enfant : « Moi j’ai construit une cabane. Je ne pensais pas que j’en étais capable. » Preuve que la nature améliore le lien à soi-même… et aux apprentissages !

Enfants
© N. FOSSEY-SERGENT