Contre le harcèlement

Lycée technologique et professionnel Sacré-Cœur de Béziers (Hérault)
Franck Vermet, chef d’établissement
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Au cœur du projet éducatif du lycée technologique et professionnel Sacré-Cœur de Béziers (34) : la lutte contre le harcèlement. Des projets divers, en lien avec les établissements voisins, se déclinent de la maternelle au BTS. Avec comme récompense deux prix, décrochés en 2021 et 2022, au concours Non au harcèlement, organisé par le ministère de l’Éducation nationale.

Le bac pro en poche, Mathis et Léandre sont de retour dans leur ancien établissement, le lycée technologique et professionnel Sacré-Cœur (270 élèves), à Béziers, dans l’Hérault. Aujourd’hui, au CDI, ils vont montrer à dix élèves en CAP EPC (Équipier polyvalent du commerce) la vidéo qu’ils ont réalisée l’an dernier avec leurs camarades de bac pro Systèmes numériques. Intitulé Dans ma peau, ce film de deux minutes leur a permis de remporter, en juin dernier, la mention Coup de cœur des élèves du concours national Non au harcèlement, organisé par le ministère de l’Éducation nationale. Les élèves de bac pro ont aussi reçu cet été une lettre de félicitations de Brigitte Macron.

Des menaces au suicide

C’est une vidéo poignante1. La caméra GoPro est placée dans l’axe des yeux de la victime pour permettre au spectateur de lire ses SMS et de découvrir le chantage et les menaces que celle-ci subit au lycée et en dehors. À la fin du film, le suicide de la victime est évoqué… Laurence Mandrin, l’enseignante d’anglais qui a accompagné les lycéens dans ce projet, ne peut retenir ses larmes au terme de la diffusion, tout comme une élève de CAP qui a été harcelée très jeune. Enfant timide, elle se faisait voler son goûter à la maternelle…Pour écrire le scénario, les élèves se sont inspirés de scènes décrites dans la presse et dans les films, mais aussi des campagnes de lutte contre le harcèlement. La victime ne remplit pas sa copie lors d’un DST, puis ne vient plus en cours ; on comprend aussi les conséquences que cette violence peut avoir sur les résultats scolaires. Les lauréats ont travaillé le synopsis avec leur enseignante de français, formée à l’EARS (Éducation affective, relationnelle et sexuelle), Sophie Monnerais. À l’issue de la projection, un débat s’ouvre. À quel moment faut-il intervenir quand on est témoin ? Faut-il alerter même si on ne sait pas exactement ce qu’il se passe ? À quels adultes s’adresser ? Ont-ils toutes les réponses ? « Si je vois un départ de feu, je ne vais pas vers le feu. Mais je le signale pour que quelqu’un appelle les pompiers », déclare Laurence Mandrin. « Participer au concours nous a permis de parler du harcèlement, de nous sensibiliser, explique Léandre. Cela a amélioré la communication dans notre classe, alors qu’il y avait des groupes d’élèves qui ne se parlaient pas. Nous sommes plus soudés. On a tourné toute la vidéo dans les locaux du lycée avec les moyens du bord. »

Un escape game pour les 4es

Leur classe a aussi animé l’an dernier des ateliers pour deux collèges voisins. En tout, six classes de 4e du Cours Fénelon et de Sainte-Madeleine sont venues au lycée une matinée. « C’est un sujet qui touche particulièrement les collégiens ; à la fin de ces ateliers, tous se sentaient concernés. Nous avions imaginé un escape game qui leur faisait découvrir le numéro vert de lutte contre le harcèlement, le 3020. Nous étions dans une position de grands frères et cela nous a plu », se souvient Mathis. Escape game qui pourrait être réutilisé cette année par les équipes… Autre initiative, un questionnaire anonyme, construit avec l’enseignante de français, a été diffusé aux collégiens. « Avez-vous gardé vos amis de primaire ? Vous êtes-vous fait de nouveaux amis ? Êtes-vous bousculés par d’autres ? Avez-vous des surnoms ? Le vol, le racket, savez-vous à qui en parler ? » Ce sondage leur a permis de prendre conscience des différentes formes de harcèlement et de repérer les situations problématiques. « Rien ne vaut une sensibilisation faite par les jeunes directement. L’impact est beaucoup plus fort, souligne Laurence Mandrin. Les collégiens s’identifient complètement aux lycéens. Notre but est de semer des graines chez les ados, à eux de transmettre aux plus jeunes. ».

Une pièce de théâtre sur l’exclusion

Les élèves de deuxième année CAP EPC sont aussi impliqués dans un projet similaire avec des écoliers du Cours Fénelon. Pendant leurs deux années de formation, ils interviennent devant quarante-cinq enfants de grande section et CP. Avec l’aide de Caroline Daumas- Castillo, l’enseignante d’espagnol, ils ont appris à gérer un groupe. Ensemble, avec les primaires qui en sont les acteurs, ils réalisent un fi lm sur le harcèlement. Et pour en assurer la promotion, les CAP doivent créer l’affiche, réaliser les interviews de promotion, la bande-annonce… « La transmission entre ados et enfants se fait bien. C’est valorisant pour les lycéens, qui sont réellement écoutés, et pendant ce temps, les enseignants sont complètement oubliés », note Caroline Daumas-Castillo. Quant aux élèves de première année de CAP EPC, ils vont monter cette année une pièce de théâtre sur le thème de l’exclusion avec une classe de CM1- CM2 du cours Fénelon. Ils sont partis du vécu d’un élève argentin, qui vient d’arriver en France et est scolarisé dans l’établissement. Leur pièce évoquera le rejet, la différence, la place des adultes et aussi leur rôle dans l’inclusion des élèves allophones. « Cela nous a fait prendre confiance en nous, assure Ange, en CAP. Nous avons discuté en petits groupes du harcèlement et nous avons aussi appris à gérer les conflits. » Car ce n’est pas parce que le lycée fait tout pour prévenir le harcèlement que des situations ne se présentent pas. Mais les jeunes réagissent désormais et servent parfois de médiateurs.
« Ce n’est pas facile d’en parler, il faut surmonter sa peur. Mais maintenant, je sais comment agir si je suis témoin. Je ne reste pas spectateur. Si je n’ose pas en parler, je m’adresse à un adulte qui peut intervenir. J’ai compris que le harceleur est lui aussi souvent victime de quelque chose et qu’il a besoin d’aide », ajoute Mathis. « C’est un véritable projet éducatif dans notre lycée professionnel, estime Jean-Michel Testa, le chef d’établissement. Il y a plusieurs aspects dans l’EARS : la relation à l’autre, l’accueil des fragilités, l’inclusion et l’accompagnement de chacun. Cela nous demande du temps et il faut réussir à faire perdurer les projets avec les années. Ce n’est pas parce que cela a marché avec une classe que cela pourra fonctionner à nouveau. Il faut sans cesse motiver tout le monde. Mais aujourd’hui, je ne connais pas d’autres établissements qui agissent comme nous contre le harcèlement avec des projets qui vont de la maternelle au BTS. »

Une pièce de théâtre sur l’exclusion

Et cela demande une forte implication des équipes, qui sont en demande de formation. « En tant qu’enseignant, on veut savoir vers qui les orienter. Des référents sur la question ont été mis en place dans l’établissement. Le maître d’internat, des professeurs… », poursuit Laurence Mandrin. Au CDI, Julien Pachot, l’enseignant-documentaliste, a créé une base bibliographique sur le harcèlement avec des livres de témoignages, de conseils, de prévention, accessibles à tous. Et la démarche essaime dans la ville. En fin d’année scolaire, une classe du lycée La Trinité de Béziers est venue présenter ce qu’elle avait conçu, une sorte de jeu de rôle sur le harcèlement. Un véritable réseau s’est créé avec les établissements voisins sur la question. Le lycée Sacré-Cœur va aussi participer à l’opération « Lots of Socks » (« Beaucoup de chaussettes »), qui consiste à porter des chaussettes dépareillées lors de la journée de sensibilisation à la trisomie, le 21 mars prochain. Une autre façon d’instaurer un vivre-ensemble qui prend en considération les plus fragiles.

1 Vidéo à regarder sur : education.gouv.fr (taper : « Non au harcèlement »).