L’enseignement à distance revisité



En septembre dernier, l’ensemble scolaire Saint-Jean de Douai (59) a ouvert un dispositif d’enseignement à distance. Une initiative unique en France qui a permis à une trentaine de collégiens et lycéens malades, souffrant de phobie scolaire, ou simplement désireux d’apprendre à leur rythme, de suivre des cours en distanciel en bénéficiant d’un accompagnement.

Les visages d’une demi-douzaine d’élèves de 5e, 4e et 3e s’affichent sur l’écran de Bertrand Renault, professeur d’EPS à l’institution Saint-Jean de Douai (59). L’enseignant leur fait des retours sur les vidéos qu’ils lui ont envoyées : ils se sont filmés en train de jouer chez eux au tennis de table. « Tous les collégiens n’ont pas de table de ping-pong à disposition. Certains ont donc adapté l’exercice : Charlotte a joué avec une raquette de tennis contre un mur ; Zoé, qui a des soucis de santé, a utilisé une balle en mousse pour ralentir la vitesse… », explique Bertrand Renault. Ces jeunes font partie des trente premiers inscrits à Distance Learning, un dispositif lancé en septembre dernier par cet ensemble scolaire. Une première en France pour un établissement sous contrat, inspirée du homeschooling, très répandu aux États-Unis et en Angleterre. Les profils et les motivations des élèves sont variés. « L’école s’est mal passée l’an dernier, j’avais besoin de souffler », indique Valentine, en 3e. Parmi les inscrits, « sept souffrent de phobie scolaire », précise Odin Frenel, responsable pédagogique de Distance Learning, lui-même enseignant de physique-chimie. « Je n’avais pas de difficulté mais envie de progresser à mon rythme », témoigne Charlotte, en 3e. Revenant d’Angleterre, Victor, en 2de, n’a pas supporté le système éducatif français (cf. encadré). Quant à Eva, en 5e comme Zoé, elle a rejoint Distance Learning après avoir essayé le Cned : « C’était très difficile d’avancer sans parler à personne ! », se souvient-elle.

Un regroupement par cycle

L’avantage de Distance Learning est de s’appuyer sur le savoir-faire de l’établissement pour proposer un accompagnement à distance quasi similaire à celui d’une scolarité classique. « Plutôt que de réaliser une capsule vidéo pour 10 000 élèves, nous avons mis en place un dispositif, non pas d’instruction, mais d’éducation », affirme Jean-Marie Chuepo, le directeur de l’institution et à l’origine du projet. Les élèves bénéficient de cours en visio accompagnés d’un échange direct avec leurs enseignants d’une durée de trente minutes. « Nous dispensons l’équivalent d’une heure en classe, car il y a moins de perte de temps », note Odin Frenel. Certains enseignants font le choix de regrouper leurs élèves par cycle, comme Bertrand Renault qui propose trois niveaux de difficulté pour chaque exercice. « Cela permet aux élèves d’avancer à leur rythme », souligne le responsable pédagogique. En début d’année, par timidité, la plupart des élèves n’allumaient pas leur caméra. « C’était compliqué de faire vivre la séance face à des écrans noirs ! Aujourd’hui, tous prennent la parole devant les autres. On mesure le chemin parcouru ! », se réjouit Lucile Gouget, professeur d’anglais. Chaque demi-heure de visio est complétée de trente minutes de cours « asynchrone » : un exposé à réaliser, une vidéo à regarder, une évaluation… Soit au total une dizaine d’heures de cours en distanciel, associés à autant de cours « asynchrones », via la plateforme itslearning. Les élèves y retrouvent l’enregistrement des visios et tous les fichiers ressources qui y sont liés. De leur côté, les enseignants y suivent l’activité des jeunes.

Changement de posture

Le dispositif a nécessité un gros travail d’adaptation. Pas facile en effet d’enseigner à distance l’EPS ! « En début d’année, nous avons interrogé les élèves sur le matériel dont ils disposaient et choisi les disciplines en fonction de leurs équipements », déclare Bertrand Renault. Celui-ci donne ses cours en alternance avec son collègue David Percevaux : « Nous restons au plus près du programme », précise ce dernier. De son côté, Lucile Gouget a expérimenté de nouveaux outils favorisant la classe inversée, des applications de jeux et des formats d’évaluation en ligne. « Cela m’a ouvert des perspectives pour mes cours en présentiel », expose l’enseignante. Au-delà, elle estime avoir changé de posture. « Je suis plus tolérante et bienveillante, car donner des cours à distance, qui plus est avec des élèves en situation de phobie scolaire, demande de la souplesse : pour les cours asynchrones, il faut beaucoup les relancer », confi e-t-elle. Les certifications ont été adaptées pour Distance Learning, qu’il s’agisse de l’ASSR (Attestation scolaire de sécurité routière), d’Ev@lang ou de Pix. Les jeunes peuvent suivre aussi soit des cours de culture religieuse, soit la catéchèse. Quant aux examens (brevet cette année, bac français l’an prochain), les élèves les passent en candidats libres. Tous les quinze jours, des séances de vie de classe en visio avec leur professeur principal permettent de « faire remonter les problèmes, comme des difficultés d’accès aux documents », note Mahéra, déléguée en 4e, qui participe aussi aux conseils de classe à distance. Un esprit de cohésion s’est formé entre les élèves, qui échangent sur Discord. « Mes camarades m’ont souhaité mon anniversaire ! », illustre Victor. L’établissement incite par ailleurs les jeunes à s’inscrire dans un club sportif pour prévenir le risque d’isolement. « J’ai plein d’activités extra-scolaires », précise Charlotte.

Un agrément « hors contrat »

Pour l’heure, Distance Learning a obtenu un agrément « hors contrat » de la part du rectorat. « Nous devons attendre cinq ans pour demander un agrément “sous contrat” », déclare Jean-Marie Chuepo. Le montant de la scolarité est fixé à 3 500 euros l’année pour financer les heures de cours des vingt-deux professeurs qui y participent. La moitié d’entre eux exercent à Saint-Jean, l’autre moitié dans d’autres établissements privés, tandis qu’un seul enseignant est issu du public. Le dispositif est également accessible à la carte, pour seulement certaines matières, « en accord avec l’établissement de l’élève », précise le responsable pédagogique. Début juillet, les élèves de Distance Learning vont se rencontrer en chair et en os. L’établissement les a invités à passer une semaine à Douai. « En début d’année, nous avons senti que c’était prématuré pour les élèves, d’où le choix d’une rencontre cet été », estime Odin Frenel. Au programme : visites, et activités sportives, mais aussi une veillée. Une dizaine de jeunes s’y sont inscrits, dont quatre qui seront logés à l’internat de Saint-Jean. « J’ai vraiment hâte de rencontrer mes élèves ! », s’enthousiasme Lucile Gouget. Reprenant confiance, des jeunes retournent en classe, comme Valentine. « Cette année scolaire m’a offert une pause, mais j’ai envie de retrouver une classe ordinaire », confi e-t-elle. À l’inverse, d’autres poursuivront leur scolarité avec Distance Learning l’an prochain. « Avancer à son rythme, avec des enseignants qui nous soutiennent, c’est génial ! », assure Charlotte, qui plébiscite cette école sur-mesure. Le homeschooling à la française a de beaux jours devant lui !