L’école de la montagne

Ecole Carlhian-Rippert à Besançon (Hautes-Alpes)
Franck Vermet, chef d’établissement
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Seule école privée catholique de Briançon (05), Carlhian-Rippert a trouvé un nouveau souffle. Cet établissement, créé en 1910, a souffert de la crise sanitaire et vu son recrutement diminuer. D’où l’idée de multiplier les projets en lien avec la montagne pour accroître son attractivité.

En ce début décembre, la neige est tombée toute la nuit sur Briançon, ville la plus haute de France. Au nord de l’agglomération, Carlhian-Rippert est l’unique école privée catholique de la commune. « C’est un peu insulaire ici. Nous sommes seuls au milieu de huit écoles publiques, et chaque village a la sienne. Un tiers de nos élèves n’habitent pas Briançon ; ils viennent des seize communes alentour », détaille Franck Vermet, chef d’établissement depuis dix ans à Briançon. Lui-même a traversé la France depuis Boulogne-sur-Mer (62) avec sa femme et ses quatre filles. Dans les années 1990 à 2020, Carlhian-Rippert a connu un âge d’or, avec plus de 300 élèves et peu d’inquiétude sur son avenir. L’ancienne école ménagère des sœurs salésiennes de Don Bosco est alors devenue la plus grosse école du département, public et privé confondus. Mais depuis la pandémie de Covid-19, les choses ont changé, du fait de la baisse démographique mais surtout des problèmes immobiliers. Les loyers ont grimpé en flèche, avec des appartements réservés aux touristes été comme hiver. En conséquence, les familles peinent à se loger et vont ailleurs. Autre question qui se pose : où poursuivre en 6e ? Le collège catholique le plus proche se trouve à Gap, à 1 h 30 de route de Briançon, même s’il est doté d’un internat. Ainsi la grande majorité de ses écoliers intègrent le collège public de Briançon. À la rentrée 2020, le chef d’établissement s’inquiète. L’école n’a plus que treize élèves inscrits en petite section, contre trente à quarante les années précédentes. Il se voit contraint de fermer une classe de maternelle (sur quatre) et une classe de primaire (sur dix). Et en cette rentrée 2022, l’école scolarise 271 enfants. D’où l’urgence de faire revenir des élèves.

10 000 plaquettes d’informations

« Nous avons travaillé avec une chargée de communication pour mettre en lumière nos projets. Nous faisions déjà beaucoup de choses en lien avec la montagne mais on ne le disait pas. Grâce au fonds de solidarité de notre tutelle congréganiste, nous avons distribué 10 000 plaquettes d’information dans le Briançonnais », précise le chef d’établissement. Ce dernier se met aux réseaux sociaux, il anime les pages Facebook et Instagram de l’école qu’il fait l’effort d’alimenter au quotidien. « Pour la première fois, la semaine dernière, une mère d’élève qui me contactait pour une inscription, m’a dit qu’elle avait découvert l’école via notre page Facebook », annonce-t-il fièrement. L’an dernier, Franck Vermet a également organisé les premières portes ouvertes de l’école. Une opération qui sera renouvelée au mois de mars 2023. Sur son site internet, on découvre une visite virtuelle de l’établissement. De plus, depuis trois ans, Franck Vermet est devenu l’adjoint du directeur diocésain d’Aix, Digne et Gap, ce qui lui permet de voir comment fonctionnent les autres établissements.

Écouter le brâme du cerf

Mais c’est l’arrivée du père Thierry Sauzay à Briançon, il y a deux ans, qui a sonné l’heure d’un nouveau projet. Mgr Xavier Malle, évêque de Gap et d’Embrun, a eu l’idée de mettre en contact le chef d’établissement et ce prêtre également guide de montagne. Ensemble, ils imaginent « L’école de la montagne à la montagne ». « Ici, dès qu’on ouvre les portes, on est en pleine nature. Évidemment, nous faisions déjà des sorties, des activités sportives, mais depuis l’arrivée du père Thierry Sauzay, nous avons créé le club des montagnards », se félicite le chef d’établissement. À la ville, Thierry Sauzay travaille au bureau des guides de Serre Chevalier, la célèbre station de ski, voisine de quelques kilomètres. Été comme hiver, il encadre des randonnées, des sorties nature pour découvrir la faune et la fl ore ou encore la géologie. « L’idée était de ne pas se centrer uniquement sur le ski, mais d’avoir une approche intégrale de la montagne. Au niveau spirituel, il y a une vraie passerelle : dans la Bible, la montagne apparaît toutes les trois pages. Il se passe toujours des choses lorsque l’on marche ensemble… », sourit le prêtre. À l’école, très peu d’élèves suivent le catéchisme, moins de 10 % des enfants. Même si chaque année, le père Thierry Sauzay reçoit des demandes de baptême et voit des écoliers s’inscrire au catéchisme. Le club a été lancé l’an dernier, accessible à partir du CE1, à raison d’une à deux sorties par mois. Cette année, le rythme est moins soutenu, pour laisser à tous l’envie de venir, même s’ils ne sont intéressés que par une seule sortie. Il y a eu, par exemple, la visite d’une ferme avec un poulailler où les élèves ont donné un coup de main et regardé les cristaux de neige à la loupe, ou encore une excursion de nuit pour écouter les animaux. Et les enfants sont ravis. « On est sortis la nuit pour écouter le brâme du cerf, et on l’a entendu ! », s’émerveille Charles, élève de CM1 et membre du club des petits montagnards.

Une promenade en raquettes

En complément, quatre sorties de classe sont organisées sur l’année, avec les deux classes de CM1. La dernière en date, a eu lieu sur deux jours en juin dernier, avec une nuit passée en refuge. La majorité des élèves n’ont jamais dormi en montagne. Et pour certains, c’était leur première sortie en raquettes. Hors du cadre scolaire, les écoliers se sont révélés très intéressés par la nature. Un concours de ricochets sur les bords du lac, des crapauds croisés près d’un ruisseau deviennent pour eux des souvenirs impérissables. « On a vu des marmottes et un renard », raconte Ethan. « On a appris à quoi sert le lichen et plein de choses sur la forêt », complète Kenza. « On a fait une sorte de chasse au trésor pour retrouver un DVA, un détecteur de victime d’avalanche, et apprendre à l’utiliser », complète Zia. « Et on a utilisé la pelle pour construire un igloo », conclut Angeline. « Le projet était de faire découvrir aux enfants leur environnement proche. Beaucoup habitent la montagne mais ne la connaissent pas, estime Véronique Jouannon, l’une des institutrices de CM1. Nous avons décidé de partir à pied de l’école pour monter au Fort des Têtes en faisant plusieurs pauses d’observation. Il a été question de sciences, de géologie en observant les roches volcaniques, et de mathématiques avec la construction du fort dessiné par Vauban. Les enfants ont aussi appris à mesurer la hauteur d’un arbre, sa circonférence. » L’enseignante pointe cependant le coût d’une telle sortie : « Il faut rémunérer les deux professionnels qui nous accompagnent. Et même s’ils ont fait un geste sur leur salaire, il reste une partie à régler pour les familles. » Pour la nuit en refuge, les enfants ont été rejoints par des bénévoles de l’association Copernic de Gap, venus les aider à observer les étoiles. D’autres actions sont menées par Carlhian-Rippert tout au long de l’année. Bientôt, la classe de Véronique Jouannon ira trois jours à Turin dans le cadre d’un échange Erasmus avec un établissement du réseau Don Bosco. L’école a aussi la chance d’avoir un dispositif ASH avec une enseignante spécialisée, Claudine Lafont, qui intervient dans toutes les classes pour venir en aide aux élèves à besoins éducatifs particuliers. Par ailleurs, Carlhian-Rippert multiplie les labels, comme Éco-École obtenu grâce à ses projets sur la gestion des déchets et le gaspillage alimentaire. Des éco-délégués du CP au CM2 se rencontrent régulièrement. Et à la cantine, tout est produit sur place. Tous ces projets ont porté leurs fruits, en permettant à l’école de maintenir ses effectifs. Souhaitons-lui d’accueillir de nouveaux petits montagnards en septembre prochain.