Le bon timing pour apprendre

Collège Sainte-Jeanne-d’Arc, Sèvres (92)
Jean-Luc Cazenave, chef d’établissement
Envoyer un e-mail

Depuis un an, le collège Sainte-Jeanne-d’Arc de Sèvres (92) vit à l’heure anglo-saxonne : enseignements fondamentaux le matin, matières artistiques et sport l’après-midi. Un découpage plus en accord avec les rythmes biologiques et les capacités attentionnelles des élèves…

Il est midi dans la classe de 5e de Rosine Legrand, professeur de français au collège Sainte-Jeanne-d’Arc de Sèvres (Hauts-de-Seine). Thème du jour : la différence entre chanson de geste et roman courtois, avec l’analyse d’un texte de Chrétien de Troyes. Les élèves sont studieux et réactifs. Les doigts se lèvent dès que l’enseignante pose une question. Pourtant, tous ont commencé tôt leur journée de cours. Car dans ce petit collège niché dans un quartier résidentiel, les rythmes scolaires ont été pensés sur le modèle anglo-saxon. Depuis septembre 2020, les enseignements fondamentaux – français, histoire-géographie, mathématiques, langues, SVT, physique-chimie – et les devoirs sur table ont lieu le matin entre 8 h et 13 h, avec deux petites pauses, tandis que les après-midis, plus courtes, sont dédiées aux activités sportives, artistiques, aux projets et ateliers en demi-groupes. De ce fait, les élèves terminent leur journée entre 15 h et 16 h en moyenne. « L’idée est venue il y a trois ans. Je cherchais à tirer parti de nos petits effectifs en imaginant un projet pédagogique original, se souvient Jean-Luc Cazenave, le chef d’établissement arrivé il y a sept ans. Avec seulement une classe par niveau, nous avions des difficultés à recruter face aux très gros établissements qui nous entourent.» Ayant vécu et enseigné plusieurs années à Bratislava, en Slovaquie, où il commençait entre 7 h et 8 h du matin et terminait vers 13 h, il avait apprécié ce rythme adopté en Europe de l’Est, dans les pays anglo-saxons et même au Japon. Plusieurs études ont montré qu’il serait plus en accord avec les rythmes biologiques et capacités attentionnelles des collégiens.

Des élèves plus concentrés

Les jeunes semblent en tout cas le plébisciter. Judith, en 3e, préfère son nouvel emploi du temps au précédent : « Je trouve ce planning moins fatigant. C’est intense le matin mais au moins l’après-midi, on est plus détendus et on peut rentrer tôt chez nous. C’est pratique car j’ai beaucoup d’activités en dehors de l’école. » Sentiment partagé par Thaïs et Sébastien, en 6e, qui ont tous deux connu ce rythme à l’étranger, où ils ont vécu respectivement en Chine et en Pologne. « Je suis bien concentrée le matin et j’arrive à rester dans l’effort parce que je sais que je pourrai être plus relâchée l’après-midi », explique Thaïs. Sébastien, lui, apprécie de recharger son énergie grâce aux deux pauses de quinze minutes à 10 h et à 12 h, au cours desquelles il dévore une barre de céréales ainsi que quelques pages via le dispositif « Silence, on lit ! ». Et une fois rentré chez lui, il lui reste du temps pour « jouer au foot après avoir terminé mes devoirs ». Pour autant, la mise en place de cette nouvelle organisation n’a pas été simple. « Il a fallu convaincre les enseignants que cela pouvait leur être bénéfique. Ils ont dû accepter de travailler chaque matin ou chaque après-midi, au lieu de voir leurs heures concentrées sur quelques jours », rappelle le chef d’établissement.
Pour Besma Bencedira, enseignante de mathématiques et physique-chimie le matin et d’éducation musicale l’après-midi, ce changement a été positif : « L’avantage est double : mes élèves sont plus engagés dans le travail intellectuel le matin puis ils basculent dans une autre forme d’apprentissage, plus ludique, qui prend en compte davantage le corps grâce à l’EPS, la musique ou les arts plastiques. L’un sert l’autre. De mon côté, j’apprécie de finir mes journées tôt et d’avoir ainsi une vie personnelle plus équilibrée. »
Rosine Legrand savoure également ce temps libéré, qui lui permet de s’adonner au théâtre, sa passion, qu’elle enseigne quelques après-midis à Sainte-Jeanne-d’Arc : « Cette différence de rythme permet une autre relation à l’élève. Et ce qu’on travaille, par exemple, en atelier théâtre l’après-midi leur est utile dans mes cours de français : ils participent facilement, sont à l’aise à l’oral… »
Quant à Vincent Mothron, professeur d’EPS, il préfère enseigner l’après-midi. « Je sens les élèves plus décontractés ; ils se donnent à fond sans penser au devoir sur table qui pourrait suivre, car ils savent qu’ils rentreront ensuite chez eux. Et ils sont plus motivés que lorsque je devais les emmener à la piscine le matin à 10 h ! »

Ce changement de rythme a néanmoins constitué un casse-tête pour les emplois du temps. Le collège ne comptant qu’une classe par niveau, plusieurs enseignants n’effectuent à Sainte-Jeanne-d’Arc qu’un temps partiel, qu’ils complètent par des heures dans d’autres établissements. Vincent Mothron, également responsable de la vie scolaire, s’y prend donc dès la fin mai.
« Nous envoyons aux autres établissements les créneaux des matinées où nous avons besoin des enseignants. Généralement, cela se passe bien, confie-t-il. Il nous faut réussir à caler toutes les heures des matières fondamentales le matin. »
Enfin, l’établissement ne disposant pas de gymnase ni de terrain de sport, il doit réserver très en amont les installations sportives de la ville sur les créneaux de l’après-midi.

« Je me sens moins fatiguée »

14 h. Retour en 6e pour un atelier théâtre en demi-groupe. Debout, en cercle, les élèves font quelques exercices pour réveiller leur corps en suivant les consignes de Rosine Legrand, qui a endossé son rôle de professeur de théâtre. Premier exercice : les jeunes doivent nommer un camarade le plus vite possible avec une gestuelle particulière. Quelques étages plus bas, Besma Bencedira entraîne les 4es à faire des vocalises. Les mains sur les oreilles, les élèves apprennent à s’écouter chanter. Puis, Imane se lance dans une interprétation très réussie de Unstoppable de la chanteuse Sia, débriefée avec bienveillance par ses camarades transformés en jurés. Là encore, l’ambiance est détendue mais reste studieuse. « C’est agréable d’avoir des matières artistiques et sportives après le déjeuner, observe Lucie, en 5e. Je me sens moins fatiguée que mes amies qui sont dans d’autres collèges et doivent rester concentrées tout au long de la journée… »
Côté parents, le projet semble avoir également convaincu. « Avec un premier cours à 8 h du matin, ce nouveau rythme a changé un peu l’organisation familiale, mais je sens mon fils plus acteur de ses apprentissages, confie Julie Audouin, maman d’un élève de 6e. Il rentre seul du collège, s’organise pour ses devoirs… Son emploi du temps permet qu’il soit libéré le mercredi matin. Il va tout de même au collège pour les séances de volley proposées par l’association sportive. » Jérémy Lerouyer, papa de deux garçons en 3e et 6e, a été séduit par l’approche scientifique du projet : « Je m’intéresse aux neurosciences et j’ai lu que l’attention des élèves était plus forte le matin. J’ai donc trouvé le projet intelligent. Leur emploi du temps ne comporte pas de trous, ils peuvent rentrer rapidement à la maison, goûter, faire leurs devoirs et profiter d’un peu de temps libre. Cela décale moins la soirée et permet de préserver le dîner familial et l’heure du coucher. »
Le projet bénéficie d’un bon bouche-à-oreille. « Les dossiers d’inscription sont arrivés très tôt cette année, fait remarquer Jean-Luc Cazenave. Avec notamment beaucoup de demandes pour la 6e. » Avec 32 à 36 élèves par classe, le chef d’établissement est pour le moment au maximum de ses capacités d’accueil.

© NFS