La sixième qui dénote

collège Saint-Charles, Arles (13)
Eve Aubry
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Au collège Saint-Charles d’Arles (13), des enseignants de 6e ont expérimenté l’évaluation par compétences,
des progressions interdisciplinaires conjointes et des plans de travail différenciés… Une évaluation par couleur remplace désormais les notes chiffrées.

En cette fin septembre, les élèves de 6e de Saint-Charles, à Arles (13), apprennent encore le métier de collégien… C’est pourquoi Guillaume Marandai débute son heure d’histoire-géographie par un patient recadrage méthodologique, malgré la copieuse séance qu’il a concoctée sur le Paléolithique. Une fois que chacun s’est bien repéré dans le plan général du cours, il peut lancer « sa petite gymnastique chronologique ». Le but du jeu : remplir les fiches d’identité de chaque espèce du genre Homo (sapiens, erectus…) et les positionner sur une ligne du temps. Tandis que les élèves commencent l’activité en petits groupes, Guillaume Marandai démarre le logiciel d’évaluation par compétences dans lequel il renseignera le niveau de maîtrise des élèves : bleu pour « dépassé », vert pour « acquis », jaune pour partiellement acquis » » et rouge pour « non acquis ». Car nous sommes dans la classe Dénote, qu’il a contribué à concevoir l’an dernier sur un mode expérimental avec des collègues. Parmi les innovations testées et retenues : l’abandon des notes chiffrées, au profit d’une évaluation plus formatrice, discrète mais quasi continue.
Ainsi Guillaume Marandai navigue-t-il sans cesse entre les tablées pour observer les avancées, les points de blocage et l’efficacité des collaborations. « En fait, je bâtis chaque cours comme une évaluation, en partant de la compétence que je cherche à faire travailler, par exemple, aujourd’hui, le repérage dans le temps et le travail en équipe. Cela permet de réduire le niveau de stress des élèves et de cerner plus finement leurs points d’amélioration. Surtout, ils retrouvent le plaisir d’apprendre… et moi celui d’enseigner ! », explique-t-il, tout sourire. À la fin du cours, il range sans regret ses silex taillés, herminettes et autres outils préhistoriques, l’enquête autour de leurs usages et de leur datation étant remise à la prochaine séance : « Ces séquences plus ludiques apportent des respirations dans un programme dense. Et ce temps précieux que le dispositif nous autorise à prendre nous aide à accompagner l’entrée au collège, repérer et combler d’éventuelles lacunes et ne laisser personne au bord du chemin… »

“Partager ses idées avec ses copains”

L’autre grand pilier sur lequel s’appuie la classe Dénote est la coopération, aussi bien entre les élèves, placés en îlots, qu’au sein de l’équipe enseignante, comme l’illustre un cours conduit en binôme par les enseignantes de français et d’anglais. Il s’agit de rédiger une lettre aux futurs sixièmes, dans les deux langues, avec le défi commun que les jeunes, qui ont grandi avec les SMS, se familiarisent avec la forme épistolaire et confrontent leurs ressentis de la rentrée. Les enseignantes multiplient les incitations à « partager ses idées avec les copains » et délivrent des messages métacognitifs, permettant de faire réfléchir les élèves sur les processus d’apprentissage, les types de mémoires, les blocages…
Au sortir de la séance, Véronique Marchetti, professeure principale, qui enseigne le français, et Sandrine Brun, professeure d’anglais, sont ravies de la qualité de leurs interactions avec les élèves : « Ces temps en co-animation restent exceptionnels, mais nous organisons toutes nos progressions de manière à créer des liens entre les disciplines, en traitant en même temps, les monstres dans L’Odyssée d’Homère en français, le mythe de Frankenstein en anglais et l’Antiquité grecque en histoire. Nous nous concertons donc énormément. »

Tout ce travail hors classe est aujourd’hui valorisé grâce à un Pacte « Innovation pédagogique » pour les deux enseignantes porteuses du projet. Sans compter les encouragements indéfectibles d’Ève Aubry, cheffe d’établissement convaincue des bienfaits d’apprendre et d’enseigner autrement et prête à « pousser les vieilles pierres » pour y aider. En cette rentrée, la classe Dénote a ainsi emménagé dans la plus grande salle d’un bâtiment magnifique mais peu fonctionnel, classé au titre des monuments historiques et qui abrite le collège Saint-Charles, face au théâtre antique d’Arles et non loin de ses arènes. « J’ai le sentiment de récolter, avec cette expérimentation spontanée et collective, les fruits de la réécriture du projet d’établissement engagée il y a sept ans, à mon arrivée, en parallèle d’un accompagnement dispensé par la formatrice Véronique Huet sur la posture professionnelle et le “faire équipe”. Non seulement les enseignants ont eu carte blanche pour évaluer autrement, utiliser des plans de travail personnalisés, mais je les ai encouragés à aller plus loin, en utilisant la classe flexible comme levier supplémentaire de différenciation pédagogique », affirme Ève Aubry, qui rappelle que cette classe mixe des élèves de section bilangue et des élèves en situation de handicap. Des postes informatiques viendront bientôt équiper cette salle déjà dotée d’un coin lecture ce qui aidera à varier les tâches et les rythmes.

Un meilleur climat scolaire

Cette cheffe d’établissement à l’enthousiasme communicatif, forte du bon accueil réservé à la classe Dénote par les familles, souhaite étendre ce fonctionnement aux trois autres classes de 6e l’an prochain. Pour s’y préparer, les enseignants sont invités à assister aux « cours qui dénotent » et Guillaume Marandai s’apprête à accompagner la directrice dans une tournée d’information aux parents d’élèves de CM2 des écoles du bassin. « En plus de contribuer à mieux prendre en compte la diversité des profils d’élèves, la classe Dénote permet d’améliorer le climat scolaire et l’épanouissement des personnes », conclut celle qui milite contre la suprématie des classements dans les palmarès médiatiques comme pour Parcoursup.
Pourtant la marche est haute ! Darius et Clémence, anciens élèves de la classe Dénote, venus témoigner devant leurs cadets, avouent, un peu penauds, que certains camarades avaient élaboré un système de conversion de l’évaluation couleur… en notes chiffrées « pour continuer à se comparer » ! Avant de renchérir : « En ce début de 5e, on regrette la bonne ambiance de l’an dernier, les îlots où on s’entraidait… et nos copies qui nous indiquaient précisément comment on pouvait s’améliorer. » Une prise de conscience qui récompense l’audace pédagogique… et confirme que « Tout est possible à celui qui croit » (Mc 9-23) !