La symphonie de l’orchestre

Collège Anne-Cartier, Livron
Jean-Marie Constant, enseignant
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Orchestre
E. Veilla

Au collège catholique Anne-Cartier de Livron-sur-Drôme (26), les élèves intègrent un orchestre dès la 6e. En pratiquant un instrument de manière collective, ils découvrent une autre manière d’apprendre.

Isn’t She Lovely… » Les notes de la douce mélodie de Stevie Wonder résonnent, ce mardi matin, dans les couloirs de l’École de musique intercommunale de Livron-sur-Drôme (26). Dans une ambiance à la fois appliquée et détendue, des élèves de 4e du collège Anne-Cartier voisin répètent en configuration d’orchestre, placés par pupitres selon leur instrument. L’exécution est parfaitement harmonieuse. Impossible d’imaginer qu’il y a plus de deux ans, ces collégiens, en entrant en 6e dans la classe orchestre, n’avaient pour la plupart jamais touché un instrument ! Leur secret ? Le travail bien sûr mais avant tout le plaisir de jouer ensemble. C’est le point fort du dispositif « classe orchestre » que propose le collège catholique Anne-Cartier, tout comme 900 établissements en France, soutenus par l’association Orchestre à l’école (voir encadré). Les 6es, dès les premières semaines, après avoir choisi leur instrument de musique en les testant, commencent tout de suite à jouer en orchestre, une demi-journée par semaine. Pas de solfège donc au démarrage : cela pourrait en décourager certains ! L’apprentissage de la musique se fait par l’expérimentation. « Comme pour une langue étrangère, nous parlons avant d’écrire. Les élèves apprennent en écoutant des sons, en cherchant à les imiter. La grammaire musicale, c’est-à-dire le solfège, vient au fur et à mesure », explique Loïc Guichard, le directeur de l’École de musique, partenaire du dispositif.

Une méthode que ces élèves de 4e, qui ont déjà deux ans de pratique derrière eux, apprécient, comme en témoigne Jules, saxophoniste : « Je n’avais pas cette image de la musique. Je pensais qu’il fallait faire des années de solfège. C’est génial de pouvoir commencer à jouer tout de suite. » Léa confie pour sa part qu’elle n’aurait probablement jamais eu envie de se mettre à la trompette sans la classe orchestre ! Quant à Mathis, clarinettiste, il apprécie particulièrement de pouvoir s’exprimer à travers la musique : « Je trouve cela beau et je suis fier de jouer dans un orchestre. » Tous ont le sentiment que le projet a soudé la classe. « Il y a un vrai esprit de groupe. On se connaît bien et on s’entraide », témoigne Mathilde, trompettiste.

Un projet sur quatre ans

La matinée se termine. Direction le collège à quelques centaines de mètres de là. Les musiciens en herbe repartent avec leurs instruments qu’ils vont emporter chez eux, le soir, pour s’entraîner. Au collège Anne-Cartier, l’aventure des classes orchestres a démarré il y a presque dix ans et cet établissement est aujourd’hui cité en exemple auprès de ceux qui souhaiteraient se lancer. Pour Jean-Marie Constant, le professeur de musique du collège qui était au début de l’aventure, une des clés de cette réussite réside dans les moyens qui ont été alloués au projet : « Les élèves ont trois heures de classe orchestre sur une demi-journée toutes les semaines. Et pour chaque instrument, un professeur dédié fait travailler les élèves en pupitre et joue avec eux pendant les temps en orchestre. » Le choix des instruments entre en compte également : il n’y a pas d’instruments à cordes, uniquement des bois, des cuivres et des percussions dont l’apprentissage est plus rapide durant les quatre ans que dure le projet, de la 6e à la 3e.

Côté finances : la classe orchestre a pu voir le jour et perdurer grâce au partenariat entre le collège et la commune de Livron-sur-Drôme, dont dépend l’École de musique. C’est dans ses locaux qu’ont lieu l’enseignement et la pratique des instruments par ses professeurs. Le collège, en retour, lui verse une participation financière et achète, avec l’aide de l’association Orchestre à l’école, les instruments. Pour les élèves, la classe orchestre est gratuite. Un mardi par mois, sur le temps du déjeuner, tous les acteurs du projet se retrouvent au collège pour faire le point. Au programme : l’organisation des concerts à venir. Les années précédentes, les élèves ont joué au Sénat, à l’Auditorium de Radio France ainsi qu’aux États-Unis ! Cette année, les 4es s’en- voleront pour l’Italie.

L’après-midi, c’est au tour des 6es de pousser la porte de l’École de musique pour un temps de formation musicale, suivi de la répétition d’un concert prévu dans un festival. Pendant que les élèves s’essayent à jouer Farewell to Cheyenne du grand compositeur Ennio Morricone avec une partition arrangée par leurs professeurs, Patricia Ascencio, professeur de flûte traversière, aide une des flûtistes. « En quelques mois, ils acquièrent des automatismes et développent une écoute particulière. C’est assez incroyable. Ils avancent vite parce qu’ils en ont l’envie », témoigne l’enseignante.

Des effets positifs en classe

Au collège aussi, les professeurs mesurent l’impact positif de l’orchestre. « Les jeunes gagnent en confiance en réussissant ensemble et grâce aux vertus de l’apprentissage d’un instrument et du travail en orchestre, ils apprennent beaucoup sans s’en rendre compte », estime Christine Kmyta, directrice adjointe du collège et professeur principale de la classe orchestre de 6e.

Pour Fabienne Mandier, professeur principale de la classe de 4e, l’orchestre leur apprend à travailler : « Ils ont l’habitude de répéter et cela leur donne également le goût de l’effort. » Mémorisation, attention, concentration, engagement…

« Cette aventure collective vers une réussite commune, celle de constituer un vrai orchestre, est un bel outil pour faire grandir nos jeunes et leur donner l’occasion de se dépasser, explique Éric Bon, le chef d’établissement. Il permet notamment aux 6es de gagner rapidement en autonomie, d’aider des élèves qui ont des troubles de l’attention et de remettre certains en situation de réussite. » Même si l’orchestre ne fait pas l’objet d’une note sur le bulletin, y figure une appréciation qui compte dans l’évaluation générale des compétences à acquérir. De plus, le directeur de l’École de musique assiste à chaque conseil de classe. L’après-midi d’orchestre pour les 6es se termine. Salomé, qui joue du trombone, sort enthousiaste : « On est tous solidaires. Cela m’a permis de bien m’intégrer dans le collège. » Sa maman aussi : « Même s’il y a du travail et de l’exigence, c’est un temps de respiration dans la semaine. Et l’occasion d’une ouverture culturelle par la découverte de nouveaux genres musicaux. »

Christine Kmyta, la directrice adjointe, confie avec fierté que l’établissement a changé de visage avec ce dispositif. Les concerts, la réussite des élèves rejaillissent sur le collège. « Les classes orchestres lui donnent une identité particulière », estime aussi le directeur, qui souhaite réactualiser le projet d’établissement en mettant l’accent sur la pédagogie de projet pour « apprendre autrement », comme en classe orchestre.