Jardiner ses racines

Pensionnat Saint-Paul de Bouillon à Basse-Terre
Enseignante : Martine Glandor
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À Basse-Terre, dans le sud de la Guadeloupe, l’école Pensionnat Saint-Paul-de-Bouillon a développé un projet autour d’un jardin extraordinaire qui relie les élèves à la nature et leur permet de mieux connaître la culture créole.

L’école Pensionnat Saint-Paul-de Bouillon de Basse-Terre, située dans le sud de la Guadeloupe, accueille 425 élèves, de la maternelle au CM2. Grâce à l’initiative d’une enseignante, ils participent depuis 2016 à la création d’un jardin créole. Ce projet, intitulé « Ti trézò an nou, à la rencontre des 4 éléments », s’est déployé au fil des ans et a modifié, pour beaucoup, leur rapport à la nature. « L’idée m’est venue en observant mon mari qui est agriculteur, explique Martine Glandor, professeur en CM1. Je l’accompagne souvent sur ses exploitations et il m’explique le principe de la culture diversifiée, de la transformation du manioc… Je me suis dit que cela pouvait être intéressant pour nos élèves, qui vivent pour beaucoup en milieu urbain, de connaître les spécificités de l’agriculture créole… » Les Sœurs de Saint-Paul-de-Chartres, tutelle de l’établissement, donnent leur accord pour qu’un terrain en friche de 1 500 m2 jouxtant l’école soit utilisé pour créer un grand jardin potager. L’équipe de l’école, aidée d’agents de la communauté d’agglomération, s’attelle à un bon nettoyage. « C’était une sorte de terrain vague, il y avait beaucoup de déchets à ramasser », se souvient l’enseignante, qui apporte ensuite quelques pousses de son propre jardin, « des plantes médicinales pour commencer ». Des associations et des agriculteurs locaux donnent aussi des végétaux, et l’école reçoit de l’ARS (Agence régionale de santé) une subvention qui lui permet d’acheter du matériel.

Un poulailler et deux lapins

Rapidement, ce qui devait être le projet d’une classe de CM1 est devenu un projet d’établissement. « Tous les enfants voulaient aller au jardin et nous nous sommes rapidement rendu compte qu’il était un support formidable pour travailler toutes les matières… », observe Martine Glandor. La cueillette des groseilles est l’occasion d’une séance de mathématiques. Chaque arrivée d’une nouvelle plante est le moyen de prendre part à un processus d’expérimentation. « On plante les semis et on attend de voir si ça pousse ou pas », note Ysis, en CM1. Régulièrement, l’équipe éducative introduit de nouveaux végétaux. Récemment, les élèves ont récolté des cachimans, fruits très rares et méconnus. Les enfants découvrent et dégustent des fruits qu’on ne trouve pas sur les marchés locaux. Martine Glandor utilise aussi le jardin pour faire connaître aux enfants des pans de la culture guadeloupéenne. L’enseignante leur apprend d’anciennes chansons créoles, des proverbes et des poèmes liés au jardin. L’équipe éducative observe aussi les effets sur les enfants de l’apprentissage en extérieur et du contact avec la terre. « Je me sens bien dans le jardin, on a de l’espace, je suis à l’aise. À chaque fois, j’ai hâte d’y aller ! », confie Kacy, en CM1. « Ils glissent, s’amusent à se salir, s’occupent avec bonheur des animaux… Car en plus des plantes, l’école accueille un poulailler, deux lapins et deux canards mandarins. Certains se révèlent dans ce lieu. Ils n’ont pas de très bons résultats scolaires mais se découvrent un goût pour le travail manuel et se sentent ainsi valorisés. Ce seront peut-être nos futurs agriculteurs… », sourit Martine Glandor. Par sécurité, le jardin est clos et accessible seulement avec un adulte. Chaque classe peut y aller sur un temps dédié. Les CM1 de Martine Glandor, référente du projet et qui a formé ses collègues, s’y rendent tous les jeudis après-midi. Chaque enseignante adapte ses apprentissages autour de cet espace.

Il y a deux ans, le Pensionnat Saint-Paul-de-Bouillon a répondu à un appel à projets de la Région Guadeloupe intitulé « Un écoprojet pour ma Guadeloupe » qui lui a permis d’obtenir de nouveaux financements et d’améliorer le jardin. Il se découpe désormais en trois espaces. Le premier est consacré à la culture vivrière avec des ignames, des bananes… Le deuxième espace est dédié à l’aquaponie : placées dans deux grands bassins d’eau, les plantes sont nourries par les déjections des poissons passées par des bacs purificateurs (cf. photo de couverture). On y trouve en ce moment de la menthe, du basilic, du pourpier, des fraisiers, de la vanille, des tomates et des laitues. « Cela permet de diminuer les factures d’eau car on ne peut pas arroser tous les jours, témoigne Lucie Alphonse, la chef d’établissement arrivée il y a deux ans. Et quand il pleut, on récupère l’eau. » Le troisième espace, en cours de réalisation, met en valeur le « bokantaj », (« échanger », en créole). « C’est un lieu où sera construit un abri sous lequel un enseignant pourra s’installer avec ses élèves. On pourra aussi y transformer certaines plantes, comme faire sécher le moringa et le mettre sous emballage… », précise Martine Glandor. Actuellement, le jardin compte plus d’une soixantaine de végétaux différents : canne, riz, grenadier, manioc, patchouli, coton, café, cacao, corossol, carambole, aubergines, maïs, coco, lavande, « à-tous-maux », estragon… Les élèves participent à leur plantation et entretien, apprennent leurs vertus (pour prévenir ou guérir des maladies avec les plantes médicinales…) et acquièrent ainsi une solide connaissance de l’agriculture créole.

Du piment sur le balcon

L’un des intérêts du projet repose sur le fait que l’équipe éducative ait prévu qu’il s’autofinance partiellement. Les excréments de poules servent d’engrais pour les plantes. Les œufs récoltés par les élèves sont proposés à la vente aux familles. Tout comme certaines plantes très prisées des Guadeloupéens, tel le moringa, très énergétique. Cela permet à l’école de réaliser ses prochaines actions ou achats de plantes. « Cette année, je mène avec ma classe un atelier d’échecs avec un intervenant extérieur. Cela est assez coûteux mais grâce à la vente du thé à la menthe, de tiges de citronnelle et de beignets de banane, on le prend en charge en partie », note Martine Glandor. Le projet contribue aussi à resserrer les liens entre les enfants et leurs familles. « Les jeunes entraînent leurs parents dans l’aventure et les poussent à entrer dans cette démarche d’autosuffisance », observe Lucie Alphonse. De nombreuses familles ont ainsi aménagé un petit jardin soit à côté de leur maison soit sur leur balcon. « J’ai planté du basilic et du piment avec ma maman et on les utilise pour la cuisine », se réjouit Bilal, en CM1. « C’est aussi un retour à nos racines. Autrefois, toutes les familles, riches ou pauvres, avaient un jardin à côté de la maison avec quelques légumes », rappelle Martine Glandor. « Dans un contexte de hausse du coût de la vie, savoir cultiver légumes et fruits pour un minimum d’indépendance alimentaire est vraiment utile », estime Lucie Alphonse. Dynamique, l’équipe du Pensionnat Saint-Paul-de-Bouillon veut aller plus loin : faire un compost pour recycler les déchets verts, acheter un broyeur pour pailler les pieds des plantes. « Nous voulons que le jardin ne repose pas sur l’école au niveau énergie, on a donc prévu d’installer des panneaux solaires et une éolienne », ajoute Martine Glandor. Elle s’est aussi fixée un objectif ambitieux : faire en sorte que la production du jardin soit un jour servie aux élèves à la cantine. Pour l’heure, l’école conseille les autres équipes intéressées par la mise en place d’un tel projet. En Guadeloupe, des formations au développement durable proposées aux établissements les encouragent à se lancer. Ainsi, le collège Pensionnat-de-Versailles, à Basse-Terre, a déjà commencé à aménager son propre jardin. De quoi rendre heureux les CM2 du Pensionnat Saint-Paul de Bouillon, qui y feront, pour la majorité d’entre eux, leur rentrée en 6e en septembre et pourront ainsi continuer à mettre les mains dans la terre.