Les plans d’un four à pain
Après le cours d’anglais, place à deux heures dédiées aux projets. « Vous avez le choix entre trois activités : travailler le bois, participer à l’atelier média, ou fabriquer des attrape-rêves », indique Éric Verdes, professeur de mathématiques et coordinateur de la CPI. Il emmène un groupe d’élèves dans la salle de menuiserie. Objectif : fabriquer des nichoirs et des mangeoires pour le collège. Yoann, en 5e, scie un morceau de bois : « J’aime travailler avec mes mains », se réjouit-il. La motivation de Robin, en 4e, est autre : « J’ai choisi cet atelier pour pouvoir observer le comportement des oiseaux. » Pendant ce temps, le groupe média monte un film sur le ramassage des pommes et l’extraction de leur jus, un projet réalisé la semaine passée. « Nous lançons un média audiovisuel… Dans cette classe, on sent les élèves impliqués, indique Jean-Edern Aubrée, professeur-documentaliste. Ils ne sont pas dans un rapport scolaire classique. » Adrien tend son micro à Clémentine, la vingtaine, qui anime bénévolement l’atelier attrape-rêves. « Ces objets amérindiens emprisonnent les cauchemars dans leur toile », lui explique-t-elle. Les collégiens s’appliquent à tisser un filet à l’intérieur d’un cercle de métal. « C’est relaxant et aide à la concentration », souffle Alexandre. Mise en place depuis trois ans, dans ce collège de 300 élèves (douze classes),la CPI consacre quatre heures par semaine aux projets. Construction d’un dôme géodésique en bois, promotion de la biodiversité dans le cadre du label « Éco-école », création d’un spectacle chorégraphié… Les idées, qu’elles viennent des enseignants, des élèves ou des parents, ne manquent pas. « Nous relions les compétences requises par ces projets à celles demandées par les programmes », précise Éric Verdes. La fabrication du jus de pommes a, par exemple, été l’occasion pour Hélène Desserre, professeur de physique-chimie et de SVT, d’aborder la reproduction des plantes à fleurs et la pasteurisation. L’an dernier, la classe a conçu les plans d’un four à pain, ce qui a nécessité des calculs de pente, un travail sur le théorème de Pythagore ou encore d’évaluer des quantités… « On entend tout le temps : à quoi ça sert l’école ? Ces activités montrent aux élèves leur besoin de connaissances », souligne l’enseignante de SVT. Mais pas seulement : « Les projets mobilisent aussi des compétences difficiles à évaluer dans les matières classiques, comme la coopération, l’initiative, la responsabilité, l’autonomie, la citoyenneté… », complète Éric Verdes.
Retrouver le plaisir de l’école
Les collégiens qui rejoignent cette classe ont tous les profils. Antonin, actuellement en 4e, effectuent les exercices de 3e, pour faire deux années en une et passer le brevet en juin prochain. Le dispositif multi-niveaux permet à chacun d’avancer à son rythme. Ruben, en 4e, a rejoint la CPI après avoir quitté quatre écoles. Quant à Margot, en 5e, c’est pour échapper au harcèlement scolaire qu’elle s’est tournée vers cette classe. « Ici, il y a moins de moqueries », confie-t-elle. La diversité des élèves favorise leur ouverture d’esprit. D’autres sont tout simplement attirés par le fonctionnement par projet. « La classe s’adresse à tous, il n’y a pas de critères d’entrée, sous réserve qu’il y ait de la place », précise Éric Verdes. Face au succès, une liste d’attente commence à se constituer. C’est sous l’impulsion du précédent directeur qu’a été lancée cette initiative, autour d’une équipe d’enseignants désireux d’inventer la classe de leurs rêves. Il n’a pas été simple de dégager les heures nécessaires à sa création, récupérées sur la dotation horaire de l’ensemble scolaire. « La première année, la CPI fonctionnait à 50 % sur le bénévolat des enseignants ! », se souvient Éric Verdes. Aujourd’hui encore, elle ne bénéficie d’aucun moyen supplémentaire, malgré le soutien de la Cardie 2. Une dizaine d’enseignants de l’établissement y contribuent. « Les pratiques pédagogiques qu’ils expérimentent essaiment progressivement dans les autres classes qu’ils ont à charge et grâce au co-enseignement », se réjouit François Carillon, directeur adjoint. Pour Maryse Rode, arrivée à la tête de l’établissement il y a trois ans, « la CPI bénéficie du soutien de toute l’équipe qui accepte ses incidences en termes d’effectifs et d’emplois du temps ». Du côté des familles, les retours sont enthousiastes. « Certains parents nous remercient les larmes aux yeux, leur enfant ayant retrouvé le plaisir de l’école », témoigne Hélène Desserre. Reste à pérenniser le dispositif. Pour permettre à la classe d’accueillir de nouveaux élèves l’an prochain, la CPI ne pourra probablement pas intégrer d’élèves de 3e. « C’est toute la difficulté de promouvoir l’innovation à budget constant. Mais, au regard du bénéfice pour les élèves, le jeu en vaut la chandelle », souligne la directrice.