Ils forment les agriculteurs de demain
Lycée agricole La Ville-Davy à Quessoy (22)
Claude Fillâtre, Responsable du pôle apprentissage et formation continue
Envoyer un e-mail
À Quessoy, dans les Côtes-d’Armor, le lycée agricole La Ville – Davy prépare une nouvelle génération d’agriculteurs grâce à son BTS Analyse, conduite et stratégie de l’entreprise agricole (ACSE), qui fait le plein. Les jeunes y apprennent à rendre leur future exploitation viable.
À une vingtaine de minutes au sud de Saint-Brieuc (22), le lycée agricole La Ville – Davy, à Quessoy, est implanté dans une région rurale à forte tradition d’élevage. Ici, les vocations pour devenir exploitant agricole restent importantes. Preuve en est : le BTS ACSE (Analyse, conduite et stratégie de l’entreprise agricole), que l’établissement propose en apprentissage ou sous statut scolaire, fait le plein. « En théorie, on peut devenir agriculteur avec un bac pro mais le BTS est un plus pour apprendre tout ce qui relève du fonctionnement global d’une exploitation », souligne Claude Fillâtre, responsable du pôle apprentissage et formation continue de La Ville – Davy. Car aujourd’hui, les agriculteurs gèrent de nombreuses tâches administratives, une comptabilité, des investissements en matières premières et en matériel. Ils doivent connaître les lois, anticiper les risques…, en engageant leurs propres capitaux. Une réalité dont ont bien conscience les étudiants. « Le soir, après sa journée de travail, je vois mon père remplir le plan de fumure qui sert à prévoir les doses d’azote nécessaires à chaque parcelle de l’exploitation, ou des documents pour récupérer la TVA… Il faut apprendre à gérer ça », estime Adrien, apprenti en deuxième année.
Dans cette formation professionnalisante de deux ans qui comprend 40 % d’enseignement général et 60 % de matières pro (zootechnie, agronomie…) ainsi que de nombreux stages, les élèves apprennent d’abord à élaborer une stratégie pour rendre leur exploitation viable. « Ce qui va faire la réussite d’une ferme, c’est le bon équilibre entre production animale et cultures », déclare Claude Fillâtre. L’idée est de s’assurer ainsi deux sources de revenus. Dans cette région, la production animale reste prédominante, avec deux tiers de vaches laitières et un tiers se partageant entre porcs et volailles, « mais tous les éleveurs cultivent à côté des céréales ou des oléoprotéagineux », précise Claude Fillâtre. À chaque futur exploitant d’évaluer quelle part d’herbe garder pour l’alimentation de ses bêtes et quelle part dédier à la culture de maïs, de colza ou de blé. Dans cette réflexion, d’autres critères entrent en jeu : l’impact sur l’environnement et les bénéfices sociaux. « Dans notre référentiel de formation, la question de la durabilité est centrale », insiste Claude Fillâtre. Outre l’apprentissage des normes environnementales (interdiction de l’élagage des haies pendant la période de nidification des oiseaux, limitation des intrants pour fertiliser les sols…), les jeunes prennent conscience du fait que moins traiter permet de réaliser des économies et de préserver la qualité de leur terre sur le long terme.
« La question de la durabilité est centrale »
« On pousse aussi les étudiants à se poser plusieurs questions : quelle est mon implication dans les circuits courts ? de quelle main-d’œuvre ai-je besoin pour donner vie à mon projet ? cette ressource est-elle disponible sur mon territoire ? », souligne le responsable.
La force de l’établissement est de faire découvrir par des stages (huit semaines sur deux ans au minimum) et des visites d’exploitation (une dizaine environ sur les deux ans) une variété de modèles possibles. Les agriculteurs qui les reçoivent leur ouvrent leurs cahiers de comptes et de fertilisation des sols, leur registre phytosanitaire… Issus pour la majorité de familles d’exploitants où le modèle conventionnel prévaut, les jeunes en BTS se dirigent plutôt vers une pérennisation du modèle qu’ils connaissent. Avec toutefois des aménagements : par exemple, la robotisation de la traite pour se libérer du temps. Ou la volonté de se lancer dans une petite exploitation bio, comme Aloïs, convaincu que c’est « le choix de l’avenir » depuis qu’il a vu son père abandonner l’intensif, il y a cinq ans, pour entrer dans ce mode de production. « Le système extensif et bio est plus résilient : on a l’herbe des prairies pour nourrir les vaches. On achète un peu de soja pour leur apporter la dose de protéines nécessaire. Elles broutent dehors, on n’a pas à leur apporter à manger dans l’étable. On sème une fois pour toutes (au lieu de tous les ans pour le maïs), on ne traite pas et on mécanise moins. Et c’est mieux pour l’environnement : les prairies stockent le CO2 dans le sol, ce qui évite leur érosion », détaille Aloïs.
Cela va souvent de pair avec une envie de sobriété. Le jeune homme se projette avec un petit troupeau (35 vaches plutôt que 70, la moyenne dans la région) : « Moi, je veux juste vivre de mon métier, en respectant mes animaux, sans épuiser la planète, et produire du lait de qualité qui soit rémunéré à sa juste valeur », fait-il valoir. « En début d’année, les jeunes sont souvent un peu fermés, observe Zeineb Bessaidi, enseignante d’agronomie. Peu à peu, ils voient l’intérêt du désherbage mécanique plutôt que chimique… mais ils prennent aussi la mesure de l’investissement que cela demande. Ils voient aussi que beaucoup d’agriculteurs reviennent au conventionnel parce que le prix auquel ils vendent le lait n’est pas assez élevé ou que la charge de travail est trop importante… » Avec ses élèves de première année, l’enseignante a mené cette année le projet Tanggo (Transmettre l’agroécologie aux nouvelles générations avec les groupes) qui a conduit les étudiants à effectuer dans plusieurs fermes des relevés de « couverts » (des plantes semées entre deux rotations de culture pour protéger la terre). Ils ont ainsi analysé le sol et la végétation, noté la quantité d’azote qu’ils y trouvaient et déduit l’intérêt des couverts pour leur production et la planète.
Acteurs du territoire
Autre atout du lycée : l’accent mis sur la communication. « Les agriculteurs sont des acteurs de leur territoire. Ils peuvent être conseiller municipal, ouvrir leur exploitation à des services de différentes natures. Dans un contexte où ils sont de moins en moins nombreux dans les communes, il faut qu’ils soient représentés », souligne Claude Fillâtre. Les élèves ont donc un Projet d’initiative et de communication (PIC) à mener à plusieurs sur six mois. Léo, en deuxième année, a par exemple élaboré un projet pour préparer les premières années à leur stage à l’étranger… en les emmenant à Rennes pour les acculturer à la ville et les habituer au métro. À l’occasion du Trophée international de l’enseignement agricole du Salon de l’agriculture, Anaïs, également en deuxième année, a démarché des sponsors, communiqué sur les réseaux avant et pendant le trophée…
Observer des élevages de moutons en Irlande
Dernier point fort de l’établissement : son ouverture internationale ! Les BTS sous statut scolaire partent seuls plusieurs mois en stage à l’étranger. Cette année, six vont observer des élevages de moutons ou de bovins en Irlande, un la culture de céréales en Roumanie, une autre un élevage de chèvres en Suisse. Sans oublier quatre jeunes qui se rendent en Chine, via un partenariat avec la Région, pour découvrir son système agricole intensif… Les apprentis bénéficient pour leur part d’un voyage d’études d’une semaine en Finlande. « Tous reviennent plus mûrs, en ayant fait de nets progrès en langues et avec une vision de ce qu’est l’agriculture à l’étranger. C’est une super ouverture culturelle », note Valérie Coeuret, leur enseignante d’anglais.
À l’issue de leur formation, une partie d’entre eux se lanceront en tant que salarié agricole avant de s’installer à leur compte d’ici cinq à dix ans, voire quinze ans. D’autres poursuivront en licence pro pour se spécialiser dans une production particulière. Tout comme ceux qui ne souhaitent pas être exploitants mais plutôt conseillers en élevage, experts en génétique animale, conseillers bancaires pour les agriculteurs…