Classe

Une école sans mur

École Chabrillan-Saint-Jean-Baptiste, Allan (26)
Gilles Perrillat-Collomb
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Classe d'élèves
A. Sobocinski

Finie la classe traditionnelle. À Allan, au cœur de la Drôme provençale, la directrice et son équipe ont redonné souffle à l’école Saint-Jean-Baptiste en créant un espace pédagogique unique de la maternelle au CP.

L’école Saint-Jean-Baptiste, au coeur du petit village d’Allan, à 7 km de Montélimar, en Ardèche, a des airs de ruche. Dans les salles du rez-de-chaussée, les élèves, de la maternelle au CP, vaquent à leurs activités, seuls ou à plusieurs : devant le domaine bleu dédié aux « Formes, grandeur et numération » ; au pied des rayons du domaine rouge « Langage écrit et oral » ; plus loin dans les espaces violet « Graphisme » ou vert « Monde du vivant ». La maîtresse, elle, virevolte d’un petit groupe à l’autre, ici pour soutenir, là pour orienter. Derrière l’apparent bazar, l’emploi du temps est en réalité très structuré. « Ce fonctionnement inhabituel peut déstabiliser mais les enfants savent exactement quoi faire et où. J’ai mes objectifs d’apprentissage mais les élèves progressent en fonction de leurs besoins », explique Clara Durand, 32 ans, la directrice de l’école.

Bienvenue dans une maternelle pas tout à fait comme les autres ! « Mais tout est dans le programme », précise d’emblée l’enseignante. L’année dernière encore, l’école comptait deux classes multiniveaux : GS/CP/CE1 et CE2/CM1/CM2, avec une garderie pour les 2-5 ans. Depuis la rentrée, compte tenu de l’augmentation des effectifs (passés de 52 à 68 enfants en trois ans), liée en partie au nouvel élan pédagogique initié par la jeune directrice arrivée en 2014 et à une forte croissance démographique dans la ville de Montélimar, une troisième classe sous-contrat a pu être créée en lieu et place du jardin d’enfants. L’occasion pour la directrice et sa collègue, Marie-Christine Gery-Nolot (en charge sur le papier de deux classes, de la très petite à la moyenne section pour la première et de la moyenne section au CP pour la seconde) avec une troisième enseignante pour les niveaux CE et CM d’enseigner autrement. « Six à sept heures par jour dans le même fonctionnement cloisonné, on étouffait, poursuit cette dernière, professeur spécialisé de formation. On ne se voyait pas continuer à travailler à la chaîne, chacune de notre côté. Les enfants d’aujourd’hui n’ont plus la même capacité d’attention et nous obligent à bouger. En grand groupe, ils décrochent ! Ils ont besoin d’espace et d’action pour s’épanouir et grandir à leur rythme. Et pour les accompagner, les adultes ont eux aussi besoin de partager leurs idées, leurs regards, pour diversifier les situations d’apprentissage et créer des projets !»

Dans la nouvelle organisation de l’école, il n’y a plus qu’un seul « espace » maternelle, deux enseignantes et l’aide maternelle. Une nouvelle configuration qui dit beaucoup d’une vision de l’école plus proche des besoins des élèves et inspirée de la pédagogie Montessori. Pour concrétiser ce nouveau projet, l’école a investi 10 000 euros de travaux de mise en conformité et de création d’un nouvel espace dédié à l’accueil, à la motricité et à la sieste, réalisés avec l’aide de l’Ogec (organisme de gestion de l’enseignement catholique) et de la solidarité diocésaine.

« Ensemble ne veut pas dire les uns sur les autres, prévient Clara Durand. L’idée est de donner à chaque enfant le temps de vivre sa maternelle, en lui proposant un chemin de liberté dans les apprentissages et dans l’acquisition de son autonomie, sans pression et sans chercher à le faire rentrer dans des cases. On se place vraiment dans la perspective du cycle. » Marie-Christine Gery-Nolot, très attachée comme sa collègue à l’approche coopérative pratiquée dans chaque atelier, précise : « Les enfants peuvent aller où ils veulent, à nous de leur donner confiance ou de leur proposer de renforcer leurs capacités lorsqu’on les sent en difficulté. »

En pratique, la journée se rythme toujours de la même façon, avec des rituels identifiés. Elle commence par un travail en ateliers d’apprentissages différenciés pour les maternelles animés par la directrice et l’aide maternelle et un travail sur les fondamentaux pour les CP avec la deuxième enseignante. Suivent un temps de chant et de lecture d’un album en commun, puis un temps d’activités différenciées en trois groupes autour du langage oral, de l’écriture ou des maths. L’après-midi, pendant la sieste des plus petits, un approfondissement en lecture est proposé aux plus grands, avant de reprendre en commun les ateliers d’apprentissages différenciés.

Au sein du dispositif, le niveau CP garde une place singulière : « Nous avons intégré ce niveau pour permettre aux enfants une transition douce vers l’élémentaire. Mais pour que ça marche, la condition était qu’ils bénéficient de moments privilégiés, seuls avec nous, pour les apprentissages fondamentaux. »

Pari réussi, selon Anne-Claire Castells, présidente de l’Association des parents d’élèves de l’enseignement libre (Apel), dont deux filles sont scolarisées en maternelle et en CP : « La diversité et la richesse des situations pédagogiques leur apporte beaucoup. Ma plus grande reconnaissait à peine les lettres en début d’année en raison d’un problème d’oreille. Elle sait lire aujourd’hui ! Si à certains moments les parents peuvent se perdre dans cette organisation, les enfants eux s’y retrouvent très largement. »

Côté enseignantes, le décloisonnement bouleverse les pratiques : « Cette co- intervention à temps plein casse la solitude du métier, permet de se soutenir, de s’apporter un vrai complément de compétences. Le rapport enseignant/ élèves est beaucoup moins frontal. Mais cela prend du temps aussi et suppose de très bien s’entendre. On fait tout ensemble : mise au point de l’emploi du temps et des outils de progression, gestion du journal de classe, rencontre des parents… La taille de l’école aide », souligne Clara Durand, qui évoque en parallèle une évolution de son mode de management, plus participatif.

La place des aide maternelles, elle aussi, n’est plus la même. « Elles ne sont pas seulement là pour nous aider, elles doivent être autonomes et savoir gérer un groupe dans ses apprentissages à partir des activités qu’on leur confie », insiste Clara Durand. « On fonctionne comme une véritable équipe. Il faut être solide mais c’est un vrai enrichissement ! », estime Sandrine Delaye, 50 ans, Atsem (Agent territorial spécialisé des écoles maternelles) à l’école Saint-Jean-Baptiste depuis 1999.

« Ici, chaque enfant devient l’élève de toute l’équipe. Il n’est plus celui d’une enseignante en particulier ! ». Il n’est plus celui d’une enseignante en particulier ! », apprécie Isabelle Pons, enseignante spécialisée qui intervient ponctuellement à l’ école d’Allan. « Si le projet obtient de tels résultats aujourd’hui – des enfants autonomes qui ont le goût d’apprendre – c’est parce qu’il n’a rien de plaqué. Il se vit entre nous, dans la classe, dans l’école », expose Annick Sicard, l’enseignante des CE et CM nouvellement arrivée. L’an prochain, le décloisonnement s’étendra aux élèves de CE1 qui seront rattachés aux maternelles/ CP. Au-delà d’un étayage en matière de formation et d’une mutualisation des pratiques avec des établissements qui se sont déjà lancés, l’objectif final de l’équipe serait, à terme, de réussir à « décloisonner toute l’école », un horizon accessible à condition de rester une école à taille familiale !

Un projet porteur d’espérance pour les petites écoles

« La disparition du réseau des petites écoles n’est pas une fatalité. Avec quelques moyens supplémentaires, la volonté du Codiec, la solidarité diocésaine, et l’implication décisive des communautés éducatives, il peut être maintenu ! » Régis Tournus, directeur diocésain de la Drôme, a de solides exemples à faire valoir. Dans son diocèse, où une demi-douzaine de petites écoles rurales ont dû être fermées dans les années 2000 pour cause de problèmes financiers, immobiliers et de sous-effectifs chroniques, l’école d’Allan a survécu grâce à la mise en place d’un décloisonnement pédagogique amorcé il y a trois ans. Et avec elle, celle de Claveyson dans le nord du département (3 classes), sauvée elle aussi de la faillite grâce à une nouvelle dynamique pédagogique.