Élèves

Heureux qui comme Ulis

Collège Saint-Vincent, Brest (29)
Carole Bertrand, enseignante et coordinatrice du dispositif Ulis
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plage

Les élèves du dispositif Ulis du collège Saint-Vincent à Brest ont réalisé Captain Story, un joli film muet. Passant tour à tour devant et derrière la caméra, ils ont vécu une aventure unique qui a resserré leurs liens avec les autres collégiens.

C’est dans un silence absolu que les élèves de 5e et 4e de l’Ulis (unité localisée d’inclusion scolaire), une classe de dix enfants en situation de handicap, du collège Saint-Vincent à Brest, regardent Captain Story, le film muet dont ils ont écrit le scénario et dans lequel ils jouent. Il y est question d’un grand-père qui ennuie son petit-fils avec des histoires à dormir debout, d’un voyage en mer à bord d’un vieux gréement, de terribles tempêtes, de rencontres avec des créatures fantastiques et de bonnes fées. Le sépia piqueté de taches imite les films muets des années 1910. En juillet dernier, lors des Fêtes maritimes internationales de Brest qui rassemblent des marins du monde entier, ce court-métrage a été projeté tous les jours sur grand écran. Avant, le film avait déjà connu un beau parcours. En janvier, il avait été primé par Opcalia, organisme de financement de la formation professionnelle, dans le cadre d’un concours qui récompense une action en faveur de l’intégration du handicap.
Les dix élèves qui souffrent de retard intellectuel, autisme ou hyperactivité, bénéficient d’un programme sur mesure. « Tous les ans, ils participent à un grand projet qui leur permet d’acquérir de nouvelles compétences », explique Fabien Le Mercier, directeur du collège. Ils s’y consacrent avec d’autant plus de passion que Carole Bertrand, enseignante et coordinatrice du dispositif Ulis, a su développer avec eux une belle relation de confiance.

Pour ces élèves, l’aventure cinématographique a commencé au début de l’année scolaire 2014-2015. « Je voulais les amener à réaliser un court-métrage mais il était impossible de partir dans un projet d’une telle ampleur sans soutien », explique ce professeur. Elle contacte alors Franck Barouillet, animateur de l’association brestoise Film et Culture, dont la vocation est d’initier les élèves au cinéma. Il accepte de soutenir le projet. Carole Bertrand trouve aussi les indispensables soutiens financiers du côté de banques et assurances implantées à Brest. C’était parti.

Trois heures de tournage, cinq décors

Pour mettre les élèves en condition, Franck Barouillet les initie en premier lieu à l’histoire du cinéma et leur explique les différentes phases de la réalisation d’un film. Il leur projette aussi des films muets de Georges Méliès, de Charlie Chaplin et en parle avec eux.

Et dès le deuxième trimestre, les élèves entrent dans le vif du sujet. Il leur faut tout d’abord écrire un scénario. Une image sert de support à son élaboration. On y voit un bateau et un capitaine. Les idées fusent. Franck Barouillet aide les élèves à faire le tri pour ne garder que celles qu’il est possible de mettre en image. Un script est écrit détaillant chaque scène : le lieu de tournage, les acteurs devant être présents, les effets spéciaux nécessaires.

L’animateur de Film et Culture explique, pour ce faire, comment l’on découpe un film. Puis, il revient dans le collège avec du matériel. Les élèves apprivoisent alors la caméra. Ils apprennent ce qu’est un gros plan, un plan américain, un travelling… Tour à tour, ils passent derrière puis devant la caméra. Avant d’être filmés, ils s’entraînent longuement à mimer les scènes. Les élèves choisissent enfin leurs rôles. « Tout s’est fait d’un commun accord et de façon très naturelle. Ils se voyaient dans les mêmes rôles que ceux dans lesquels les adultes les voyaient », se souvient Carole Bertrand. ’initiation au théâtre, ce qui leur a été très utile. En cours d’arts plastiques, ils réalisent aussi des claps et des zootropes, ces jouets optiques qui créent l’illusion du mouvement.

Au troisième trimestre, ils étaient fin prêts pour le tournage lui-même qui a duré trois heures dans cinq décors différents. L’occasion pour tous de pas mal de stress, de plaisir aussi avec un vrai souci de dépassement de soi. « À un moment, sur le bateau, je dois me pencher pour donner l’illusion que je vais tomber. Carole Bertrand me tenait simplement par les pieds. J’ai eu très peur », explique Charles, qui joue l’un des rôles principaux. Certaines séquences ont dû être tournées plusieurs fois. Notamment celle avec Lorina, qui jouait une fée, car son regard partait dans tous les sens. « Je n’en pouvais plus, je râlais. On a tourné la scène une quarantaine de fois… Mais, je me suis aussi beaucoup amusée quand on répétait au foyer », explique-t-elle. Il y a eu des moments d’attente pas faciles à vivre pour les élèves. Certains ont trouvé ces heures de tournage épuisantes. « Nous voulions un résultat de qualité, nous avons été exigeants. Cela n’a pas toujours été facile pour les élèves. Ils ont vraiment pris sur eux et ont fait preuve d’une belle force mentale », admet Carole Bertrand.

Les élèves se sont ouverts

L’exigence était d’autant plus forte que beaucoup de particuliers, d’associations, d’entreprises s’étaient engagés dans l’aventure. Une dame a accepté qu’une scène soit tournée dans son salon. Un pub de Brest a bien voulu que des images soient réalisées dans l’établissement. Le Conservatoire botanique national de Brest a ouvert ses portes aux élèves – ce qui apporte une touche d’exotisme au film. Enfin, Yann Roger, le patron du coquillier le Loch Monna, qui organise des sorties scolaires dans la rade de Brest, s’est beaucoup investi dans le projet. Il a permis à l’équipe d’utiliser son bateau pour le tournage et s’est montré très attentif aux enfants qui, pour certains d’entre eux, montaient pour la première fois à bord d’un bateau à voile. Des parents ont réalisé les costumes et acheté les accessoires. Et, une fois les scènes dans la boîte, Franck Barouillet les a montées avec beaucoup d’habileté.

La réalisation du court-métrage a été l’occasion pour l’Ulis de resserrer ses liens avec les autres collégiens. Des élèves de 4e ont aidé la classe à traduire les intertitres en anglais. Tout le monde en est sorti valorisé. « J’ai vu les élèves de ma classe se redresser physiquement, gagner en confiance, prendre davantage part aux activités du collège », observe Carole Bertrand, qui ne cache pas que cela a représenté pour elle de nombreuses heures de travail. Les élèves de l’Ulis sont désormais mieux acceptés par les autres. « Cela les a aidés à se faire respecter », note Anne-Sophie Gillet, l’auxiliaire de vie scolaire qui était en permanence aux côtés de Carole Bertrand lors du tournage. Le regard des enseignants et de tous ceux qui les encadrent (éducateurs, psychopédagogues, orthophonistes, etc.) a lui aussi changé. Tous ont été impressionnés par les capacités des enfants à s’investir dans un tel projet et à le mener à bien à force de ténacité. Moins stigmatisés, les enfants de la classe d’Ulis se sont « ouverts » et ont beaucoup appris. Les adultes aussi…

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