Graines de médiateurs

Collège Sainte-Marie-de-Nevers, Toulouse
Marie-France Canion, chef d’établissement
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L’éducation à la relation, promue à Toulouse (31) et à Blois (41), fait des émules ailleurs en France. Le dispositif ambitieux déployé par ces deux diocèses passe par la formation. Outre les outils qu’offre cette démarche pour traiter les cas de harcèlement, elle crée un climat de bienveillance et d’entraide qui coupe le mal à la racine.

« Tous les outils que je propose dans le cadre de l’éducation à la relation sont utiles pour lutter contre le harcèlement », explique Marie-France Canion, chef d’établissement coordinateur de l’école-collège Sainte-Marie-de-Nevers, à Toulouse (31). Convertie au programme « Graines de médiateur », élaboré par l’université de paix de Namur, celle-ci s’est formée pendant deux ans en Belgique. Et les Namurois sont venus à Toulouse former aussi ses enseignants, surveillants et Asem. L’éducation à la relation est ainsi devenue le projet fédérateur de l’établissement. Marie-France Canion intervient trois à quatre fois par an dans chaque classe, des TPS aux CM2 et de la 6e à la 3e. Son intention : apprendre aux élèves à nommer et gérer leurs émotions ; à mieux se connaître et connaître les autres ; à expérimenter la coopération au sein du groupe, etc. Toutes les activités proposées prennent la forme d’un jeu coopératif. Tel celui des étiquettes : l’animateur colle sur le front de chaque collégien une étiquette. Sur l’une est écrit : « Personne ne m’aime », sur l’autre : « Je suis apprécié » mais les intéressés l’ignorent. Les élèves disposés en cercle miment ce que l’étiquette leur suggère (gestes amicaux ou de rejet), avant que chacun n’exprime son ressenti. « C’est super dur à vivre de n’avoir aucun sourire », confie une collégienne, avant d’échanger avec son groupe sur des situations déjà vécues.
« J’ai pris conscience de l’impact de mon attitude sur les autres. Je ferai très attention maintenant », déclarent plusieurs élèves. Tous ces exercices permettent de développer l’entraide et la solidarité. Avec un modèle d’apprentissage identique : le participant joue et se pose des questions ; il réfléchit avec les autres, met en pratique les nouveaux savoirs acquis et les transforme en savoir-être.

Apprendre à s’accepter

Référente pour la Haute-Garonne, l’Ariège et le Tarn-et-Garonne, Marie-France Canion sera épaulée désormais par douze collègues qui ont suivi le DU Éducation à la relation (palier 2), créé à la Catho de Toulouse à la demande de l’enseignement catholique. Comme elle, ils pourront former adultes et jeunes pour essaimer. Car depuis six ans, Charles Hervier, le directeur de cet interdiocèse, a proposé à l’ensemble de ses chefs d’établissement d’entrer dans la ronde. « Tout le 1er degré est à présent formé ; nous engageons cette année la démarche avec quatre nouveaux collèges ; reste le lycée avec un problème de budget », détaille-t-il. Ses formateurs maison, telle Marie-France Canion, sont aussi réclamés dans d’autres diocèses – Grenoble, Amiens, Périgueux, Nanterre… – qui souhaitent rejoindre la dynamique. « Entrer en relation avec l’autre n’est pas inné ! Il faut apprendre aux adultes et aux enfants à s’accepter, à communiquer et à gérer les conflits », déclare Charles Hervier, qui a offert en février dernier aux quarante-cinq écoles formées une plaque « Éducation à la relation » à apposer sur leur façade. Cette sensibilisation ne protège pas, bien sûr, contre toute forme de harcèle-ment. « Quand un cas est signalé, la psychologue de la direction diocésaine du secteur en est informée ; elle se rend sur place pour aider à dénouer la situation », explique Charles Hervier. Mais les occasions se font de plus en plus rares.

Des cercles restauratifs

Même constat à Blois qui organise depuis de nombreuses années des Journées de l’éducation à la relation (JER) – c’est dans ce diocèse où il était auparavant chef d’établissement que Charles Hervier a d’ailleurs contracté le virus. « Les problèmes s’apaisent facilement grâce à cette sensibilisation, constate le directeur diocésain du Loir-et-Cher, Bruno Chauvineau. Quand un élève est harcelé à l’école, il en parle très vite à sa maîtresse. Dès que quelque chose ne va pas, la parole se libère. C’est moins vrai au collège et au lycée mais la génération qui monte va changer les choses ! ». Ce dernier a également misé sur le renforce-ment des compétences des équipes en créant, il y a deux ans, un centre pour les former. Et pour gagner en visibilité, la direction diocésaine propose là encore, aux écoles qui le souhaitent, d’apposer une plaque sur laquelle on peut lire : « Éducation à la relation, des outils pour la vie – Établissement engagé », qui est une « plaque que la direction diocésaine s’est appliquée à elle-même pour vivre ce que nous demandons de vivre », précise Bruno Chauvineau.

Alors qu’une troisième école en a fait la demande, une charte va être élaborée pour préciser les engagements réciproques pris par la communauté éducative et la direction diocésaine. « Notre porte d’entrée, dans le diocèse, c’est la prévention, expose François Cribier, chargé de mission pour l’Éducation à la relation à Blois. Je préfère parler de relations saines et joyeuses plutôt que de me centrer sur le harcèlement. » Les enseignants formés sont désormais à l’écoute de ce que les enfants disent, rejoignant ainsi la démarche du PPPF (Programme de protection des publics fragiles), initiée par le Secrétariat général de l’enseignement catholique . Partout où des cercles de paroles fonctionnent, les écoliers décident entre eux de ce qu’il convient de faire pour que tout le monde se sente bien dans la cour de récréation. Et la tenue de « cercles restauratifs » se répand dès lors qu’un conflit qui implique un groupe surgit. Dans ce cas, un facilitateur (ce peut être un enfant de sept ans !) réunit les personnes concernées qui s’expriment tour à tour avant d’envisager ensemble les moyens d’éviter une récidive. « Je m’en suis servi plusieurs fois dans un cas de harcèlement. Je vois le bénéfice de donner au harceleur la possibilité de dire parfois que, lui aussi, il a été harcelé ; cela lui permet de sortir de son unique rôle de bourreau », explique François Cribier. Cependant, celui qui a été quinze ans formateur à l’association Génération médiateurs se garde bien de ne conseiller qu’une méthode. La pédagogie personnalisée, tout comme la prise en compte des intelligences multiples permettent elles aussi de se centrer sur « l’être humain en devenir ». L’approche de la communication non violente lui semble toutefois « la plus complète car elle permet aux adultes d’aborder la question de leur propre bien-être. Si les éducateurs cultivent leur équilibre, il y a de fortes chances que leurs relations avec les élèves soient bonnes », explique cet expert. Et de mettre en garde contre le choix d’outils qui dédouanent d’une remise en cause personnelle. « Les enfants apprennent d’abord en nous regardant agir », tient-il à préciser.
« L’éducation à la relation a changé ma vie personnelle et professionnelle, reconnaît Marie-France Canion. J’étais en recherche depuis des années. Il nous manquait un cadre commun. Désormais, nous parlons la même langue entre enseignants. Et je suis capable, en tant que chef d’établissement, d’analyser les conflits et de transmettre un message clair aux équipes et aux parents. J’en suis ressortie grandie ! »