Franklin s’attaque aux préjugés sexistes

Saint-Louis-de-Gonzague, dit « Franklin », Paris 16e
Marie Caner-Chabran, directrice adjointe du lycée
Envoyer un e-mail

À Paris, le lycée Saint-Louis-de-Gonzague a analysé la façon dont il assurait l’égalité de chances entre ses élèves filles et garçons. Cela a amené de profonds changements qui lui ont valu d’obtenir le label « Égalité filles-garçons » de l’Éducation nationale.

En février 2023, Fatima Aït-Saïd, enseignante de sciences sociales en classe prépa au lycée Saint-Louis-de-Gonzague, dit « Franklin », à Paris (XVIe arr.), présente à plusieurs enseignants une dizaine de bulletins anonymisés d’élèves de 2de. « En lisant les commentaires, dites-moi lesquels sont ceux de filles, et lesquels sont ceux de garçons ? », leur lance-t-elle. Aucun ne se trompe.
Il y aurait donc des appréciations typiquement féminines et d’autres masculines. Les filles sont qualifiées de « sérieuses », « discrètes » quand on remarque le « potentiel » et la « rigueur » des garçons qu’on pousse à « redoubler d’efforts ». Ce constat achève de convaincre Marie Caner-Chabran, directrice adjointe du lycée, d’avoir lancé son établissement d’excellence dans un processus d’introspection sur sa gestion de l’égalité entre filles et garçons. Déjà, en 2022, alors qu’un rapport du collectif Maths et Sciences faisait état d’une baisse du nombre de filles dans les filières scientifiques du nouveau lycée voulu par Blanquer, elle s’inquiétait d’entendre certains s’interroger sur le cerveau des filles, « moins matheux » que celui des garçons. « Cela n’a pas été simple d’embarquer tout le monde. Pour beaucoup, c’était une lubie, souligne Marie Caner-Chabran, dont l’établissement s’est ouvert à la mixité voilà quarante ans. Mais il ne suffit pas de mettre des garçons et des filles dans un même lieu pour qu’ils soient égaux. C’est justement le danger de considérer cela comme acquis. »

Un effet auto-réalisateur

Durant plusieurs mois, afin d’objectiver ces intuitions, elle se lance dans un état des lieux chiffré avec une poignée de professeurs, dont Fatima Aït-Saïd, qui pilote une enquête statistique à partir des bulletins, des orientations choisies dans le supérieur, d’observations de cours réalisées par des élèves de 1re et d’un questionnaire en ligne sur les stéréotypes de genre adressé aux 2des. Les résultats sont édifiants : les garçons restent nombreux à adhérer à certains stéréotypes genrés et les filles jugent les sciences difficiles, « avec un effet auto-réalisateur », pointe Fatima Aït-Saïd
(cf. encadré). En classe, les garçons coupent davantage la parole (60 %), parlent plus fort et interviennent spontanément plus que les filles, monopolisant l’attention et l’aide du professeur. Enfin, l’analyse lexicale des bulletins montre que les termes de « progrès » et l’encouragement à « faire plus » sont surtout destinés à des garçons.
L’étude est présentée en 2023 en journée pédagogique à tous les personnels de Franklin, ainsi qu’à l’Apel. Pour les enseignants dubitatifs, c’est le début d’une prise de conscience… et de premiers changements. « En décembre et janvier, j’ai expérimenté avec une collègue des groupes de soutien non mixtes et à petits effectifs pour voir si les filles se censuraient moins, confie Agnès Duranton, enseignante de maths en 1re et Tle. Certaines confient pouvoir plus facilement dire qu’elles n’ont pas compris, d’autres observent qu’il y a moins de bavardages et de jugements… »
En parallèle, le lycée multiplie les initiatives qui lui valent d’obtenir en juin dernier le label ministériel « Égalité filles-garçons » : la parité pour les nouvelles inscriptions et la présentation d’élèves aux concours généraux de sciences ; les filles sont encouragées à participer aux Olympiades féminines de mathématiques. Une conférence sur le thème de l’égalité s’est tenue en octobre dernier et les enseignants soignent leurs appréciations et leurs conseils d’orientation.

Respect et responsabilité

La vie scolaire opère aussi des changements, en direction des lycéens comme des collégiens, pour une prise de conscience plus précoce. Première étape : la relecture du règlement intérieur, sujet sensible pour plusieurs personnels attachés à une certaine culture de l’établissement. « Il n’avait quasiment pas bougé depuis quinze ans, avec des interdits sur les tenues vestimentaires des filles sur la longueur des jupes, le maquillage…, se souvient Claire-Line Véron, préfète de la vie scolaire de l’établissement. Nous avons préféré une formule qui signifie à tous que les tenues trop décontractées ne sont pas adaptées. » La préfète durcit également les sanctions en cas de bagarres, qui bénéficiaient jusque-là d’une certaine tolérance, sous prétexte que les garçons, principaux concernés, avaient de l’énergie à dépenser. Dans la cour, les jeux de ballon sont supprimés deux fois par semaine pour laisser aux filles une meilleure liberté de circulation. Et deux foyers, l’un au collège et l’autre au lycée, verront le jour d’ici quelques mois. Les filles seront invitées à y être force de proposition pour des activités. En parallèle, Claire-Line Véron et son équipe sensibilisent les collégiens sur les stéréotypes de genre dans le cadre du parcours EARS, appelé « Parcours 3R : respect, relation à l’autre et responsabilité ».

Des groupes d’amis plus mixtes

L’objectif de ces actions : que les filles gagnent en confiance en elles, une compétence qu’elles acquièrent plus difficilement que les garçons. « C’est essentiel car de cette estime découle les choix ou les non-choix qu’elles vont faire », insiste la préfète des études, qui a vu dans cet audit interne « l’opportunité de se pencher sur un sujet clivant mais nécessaire ». Côté élèves, des transformations se manifestent. Pour la première fois, un binôme mixte a été élu à la tête de l’Association des élèves de Franklin : Marie et Jean, en Tle, comptent impulser des projets qui favoriseront cette égalité entre les sexes, comme des tournois mixtes de foot, l’organisation de débats… Tous deux ont fait partie de la promotion de 2de étudiée. Ils trouvent aujourd’hui leurs groupes d’amis « plus mixtes » et apprécient que davantage de femmes soient présentes au Forum des métiers de Franklin et parmi les personnes extérieures faisant passer les colles de maths. L’initiative de Franklin est « intéressante », selon Jean-François Canteneur, directeur diocésain de Paris. « Partir de ses convictions pour questionner sa façon de faire est une bonne chose. Il y a une sensibilité actuellement sur ce sujet. Un autre groupe scolaire du XVIIIe arrondissement, La Madone, mène un travail similaire et il serait intéressant de creuser la question au sein d’établissements accueillant des élèves d’autres milieux sociaux. » En se libérant des stéréotypes, Franklin aide aussi certains garçons, qui n’aiment pas les jeux de ballon ou sont plus timides que leurs pairs, à trouver eux-aussi leur place. « Interroger la place des filles et des garçons transcende la seule question de l’égalité, estime Fatima Aït-Saïd. Cela impacte aussi le climat scolaire et le bien-être de tous. »