Adolescents et policier

Eveiller les consciences

Lycée Epid-Vauban, Dunkerque
Sophie VERBRUGGHE, chef d’établissement
Envoyer un e-mail

Depuis 2017, le groupe théâtre du lycée Epid- Vauban, à Dunkerque (59), joue chaque année une pièce retraçant l’histoire vraie d’une victime de harcèlement. Violaine Frumin, juge des enfants dans la ville, y tient son propre rôle. Un spectacle terriblement efficace.

C’est un spectacle fort en émotions, joué par les élèves du groupe théâtre du lycée Epid-Vauban, à Dunkerque (59). Pendant une heure et demie, la troupe retrace l’histoire de Christopher, jeune victime de harcèlement. Particularité : les spectateurs suivent les acteurs dans plusieurs pièces de l’établissement, où des membres de l’équipe éducative et Violaine Frumin, juge au tribunal pour enfants de Dunkerque, jouent leur propre rôle, sur le modèle du « théâtre forum ». La représentation commence dans la salle de spectacle. Là, les comédiens, qui miment un journal télévisé, interviewent un jeune ayant tenté de mettre fin à ses jours, son chef d’établissement et un officier de police. Les spectateurs sont ensuite séparés en cinq groupes, accompagnés d’un enseignant. Ils assistent, tour à tour, à l’entretien d’un CPE avec deux témoins restés passifs ; à une vive discussion entre camarades réalisant la gravité de la situation ; à la douloureuse conversation de la maman du jeune avec l’infirmière; à l’échange entre la psychologue scolaire et des élèves ; et enfin, à l’entretien d’un officier de police judiciaire avec les harceleurs. À leur retour dans la salle de théâtre, Violaine Frumin présente à l’auditoire ce que la loi prévoit dans le cadre du harcèlement (un an à trois ans d’emprisonnement et jusqu’à 45 000 € d’amende) et répond aux questions. La lumière se rallume. Le metteur en scène annonce alors l’issue dramatique de la véritable histoire : Christopher est mort.

Des situations remontent

C’est après avoir vu le témoignage de la mère de la victime à la télévision que Nathalie Wiech, l’infirmière du lycée, a demandé à Damien Engloo, professeur de lettres modernes et d’art dramatique, de travailler ce sujet avec le groupe théâtre. « J’étais confrontée à des jeunes me confiant leur désarroi à l’infirmerie », se souvient celle qui anime le Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté (Cesc) de l’Epid-Vauban. Quand elle parle du projet à la juge Violaine Frumin, celle-ci lui propose spontanément de jouer son propre rôle. « Elle est formidable, très investie ! », se réjouit l’infirmière.

Depuis 2017, le spectacle a été joué chaque année pour l’ensemble du groupe scolaire, dans l’autre établissement catholique de Dunkerque, Notre-Dame-des-Dunes, et même à Paris. « Lorsqu’il s’adresse aux collégiens, nous n’annonçons pas la mort du jeune, car se reconnaître dans la peau du ‘‘harceleur” peut être lourd à porter. C’est aussi pour cette raison que nous revenons toujours sur le spectacle avec les lycéens », souligne Nathalie Wiech. À la fin de chaque spectacle, un dépliant réalisé par des élèves, assorti de conseils et de numéros utiles, est remis aux spectateurs. Riche en sensations, la pièce fait office de révélateur. Des jeunes, victimes ou harceleurs, viennent se confier, des rendez-vous sont pris avec les parents. Ces représentations font bouger les lignes : « Après l’une d’entre elles, un groupe d’élèves a pris position. Nous travaillons beaucoup la question du témoin, pour que les élèves ne restent pas des observateurs passifs », insiste l’infirmière. L’objectif : faire en sorte que les protagonistes parlent, pour que de tels drames ne puissent plus se reproduire.

De nouvelles représentations vont être programmées cette année. Mais si la pièce a été jouée dans plusieurs établissements, ce n’est pas sa vocation première. « C’est compliqué pour ces lycéens d’intervenir ailleurs, car ils sont obligés de rater des cours, alors que le bac se profile à l’ horizon », souligne-t-elle. La direction diocésaine de Lille espère de son côté que cette initiative inspirera d’autres établissements.