Élève ton blob !

Sainte-Marie, à La Verpillière (38)
Jean-Baptiste Frondas, directeur du site
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Le groupe scolaire Sainte-Marie, situé à La Verpillière (38), est l’un des 4 500 établissements scolaires du public et du privé choisis pour mener une expérience sur le blob, un organisme unicellulaire peu connu. Ce projet transdisciplinaire, aussi mené par Thomas Pesquet à bord de l’ISS, transforme les élèves en véritables chercheurs.

Il se nourrit de flocons d’avoine, n’aime pas la lumière et hiberne s’il n’a rien à boire. Non, ce n’est pas un ado, mais un blob ! Baptisé du nom d’une créature gélatineuse sortie d’un film éponyme de science-fiction des années 1950, le blob n’est ni un animal ni un végétal. Il s’agit d’un myxomycète qui vit dans les sous-bois, vague cousin du champignon, et un des plus grands êtres unicellulaires de la planète, de ce fait observable à l’œil nu. Ses capacités sont nombreuses : fusionner avec ses congénères, optimiser ses déplacements, trouver sa nourriture dans un labyrinthe… Cet organisme dont la spécialiste mondiale est Audrey Dussutour, directrice de recherche au CNRS, fait l’objet de nombreuses études depuis quelques années. Ainsi, l’une des missions de l’astronome Thomas Pesquet, durant son dernier voyage à bord de l’ISS, était d’observer quatre blobs en apesanteur. En parallèle, le Cnes (Centre national d’études spatiales) et le CNRS, en partenariat avec l’université de Toulouse, ont monté un projet de sciences participatives – #Élève ton blob – avec 4 500 établissements français. Lors de la Semaine du blob qui s’est tenue du 11 au 17 octobre derniers, des élèves des options Biotechnologie et Sciences et Laboratoire de 2de ont reproduit au labo les expériences spatiales.

Le réveil des sclérotes

­Le lycée Sainte-Marie, un groupe scolaire de 1 800 élèves situé à La Verpillière (38), au sud de Lyon, s’est porté volontaire. « Cette expérience s’inscrit dans notre projet, détaille Jean-Baptiste Frondas, directeur du site. Cette année, pour contrer la morosité de la Covid-19, on a choisi de s’émerveiller en sciences. » Depuis plusieurs mois, une centaine de lycéens s’entraînent – pendant les cours, le midi et parfois le soir – à manipuler LU 352, la plus résistante des souches existantes de blob. « Nous sommes les petites mains d’Audrey Dussutour, qui cornaque tout le dispositif, sourit Bénédicte Applagnat, enseignante de SVT et référente du projet. C’est une démarche scientifique rigoureuse. L’expérimentation se fait dans certaines conditions (hygiène, lavage des mains, blouse et masque, paillasse stérilisée…). Cela permet de faire découvrir la recherche fondamentale à nos lycéens. »

Les manipulations doivent correspondre le plus possible à celles faites par Thomas Pesquet en apesanteur, seul paramètre différent des expériences terrestres. « Il faudra vérifier qu’il n’y a pas de biais. Tous les résultats analysés seront transmis à Audrey Dussutour, qui publiera un article scientifique intégrant nos expériences », s’enthousiasme l’enseignante. Sur son ordinateur, un tableur consigne les paramètres des deux expériences (« exploration » et « exploitation ») : température, hygrométrie, type de nourriture…. Et d’autres tableurs seront à remplir après analyse des 4 000 photos avec le logiciel ImageJ ! « Attention, vous êtes prêts ? On commence dans trente secondes… », annonce Bénédicte Applagnat à un groupe de Tles très investis. Nous sommes le 11 octobre 2021, il est 12 h 30, la Semaine du blob commence. « On aimerait réaliser une découverte et la faire connaître », confie Athénaïs, une élève, en allant chercher ses gants. Son camarade Enzo tourne autour du groupe en prenant des photos pour les réseaux sociaux.

Les quatre blobs sont maintenant collés sur un papier filtre après avoir été découpés en carrés de 5 mm de côté. Les sclérotes (blobs en dormance) sont réveillés par hydratation, placés dans des boîtes de Petri contenant des flocons d’avoine et scellées par du film transparent, le tout déposé dans un caisson de bois spécialement conçu par quatre Tles, Audric, Romain, Pierrick et Valentin. Ils ont programmé une prise de vue toutes les 100 secondes, synchronisée avec l’allumage d’une lumière, pour ne pas éclairer les blobs en continu. « Les élèves sont excités à l’idée de découvrir ce qui ne figure pas encore dans les manuels scolaires, souligne Bénédicte Applagnat. C’est une première ! ».

Sur une autre paillasse, deux lycéennes de 1re, gantées et en blouse blanche, emprisonnent dans des géloses des blobs qui serviront aux autres classes, sous l’œil attentif d’Émilie Blache, une ancienne élève de Bénédicte Applagnat devenue enseignante de SVT. « La compréhension du blob permettra peut-être de développer des applications de régénération cellulaire en médecine, estime-t-elle. C’est un vrai levier pour faire réfléchir les élèves comme des chercheurs, c’est enrichissant, même pour nous. »

Autour des manipulateurs, d’autres enseignants et élèves se pressent, gagnés par l’agitation fiévreuse qui règne dans la salle. « C’est parti ! », lance enfin Bénédicte Applagnat. La boîte en bois est fermée et sur l’écran de la salle, la première photo apparaît en direct, provoquant des exclamations satisfaites. Pendant sept jours, 720 photos seront prises, donnant lieu à une vidéo en time-lapse qui fera visualiser les déplacements des différents blobs.

Les 6es observent la cellule unique

Tout comme le développement du blob en réseau, la démarche rayonne dans tout l’établissement. « Le blob semble se déplacer dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, pourquoi ne pas essayer le champ magnétique d’un aimant, 1 000 fois supérieur à celui de la Terre, pour le faire aller dans l’autre sens ? », se demande Élisabeth Rougny, enseignante de physique qui veut tenter l’expérience avec ses 2des en option Sciences et Laboratoire.

Quant aux élèves de 2de d’Émilie Blache, ils vont faire part du projet aux 6es. « Dans le cadre de l’EIST (Enseignement intégré de sciences et de technologie), les 6es observent sans microscope la cellule unique. Cela les accroche. Et je préfère leur faire calculer la vitesse du blob, plutôt que celle d’un train ! »

Cette expérimentation se prolonge dans d’autres matières : en anglais, la langue des chercheurs, mais aussi en philosophie, où l’on s’interroge sur le vivant, l’immortalité du blob, la notion de dormance… De même, les professeurs de maths constatent que le déplacement de cet organisme se fait selon des fractales. « Un élève a programmé en Python le dispositif qui permet de saisir les mouvements du blob, et il a expliqué lui-même le principe aux enseignants de 2de », pointe Jean-Baptiste Frondas. Bien sûr, toutes ces expériences sur le blob s’intègrent dans le programme de SVT. « Les élèves sont évalués sur leur capacités expérimentales et sur les connaissances acquises mobilisables dans le parcours général, affirme Bénédicte Applagnat. Et ils font des exposés qui les préparent au grand oral. »

En primaire, les élèves de CE2 attendent avec impatience d’avoir leurs propres blobs. « Ils sont en observation scientifique, explique Isabelle Martel, leur enseignante. Ils ont compris que c’était vivant, qu’il fallait le nourrir et qu’il se développait différemment dans la lumière ou dans le noir… » Sainte-Marie vit donc cette année à l’heure de ce micro-organisme. « On a créé un groupe Teams pour échanger mails et vidéos dans toute la communauté éducative, précise le chef d’établissement. Même la pastorale aborde le sujet ! » Pour Bénédicte Applagnat, « le blob est partout et la recherche continuera certainement les années suivantes ». En attendant, les chercheurs en herbe attendent les résultats de l’expérience collective et surtout le grand rendez-vous du 26 mai prochain, promis par Audrey Dussutour. Tous les enseignants et les élèves participants seront invités à fusionner leurs blobs pour en faire l’être unicellulaire le plus grand du monde. L’invasion approche…

© F. HUSSON