À la rencontre des enfants roms
Association Espere, Seclin (59)
Danièle Sciacaluga
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Depuis 2013, une association salésienne intervient auprès d’enfants roms de la métropole lilloise tous les mercredis après-midi et trois semaines en juillet. Objectif : travailler la langue française grâce aux jeux de société… et rester fidèle au charisme de Don Bosco.
Quatre bénévoles de l’association Espoir salésien pour les enfants roms de l’Europe (Espere) entrent dans le camp de Lezennes, proche de Lille, les bras chargés de jeux de société. Assise devant sa cabane, les yeux pétillants, Claudia les accueille. « Timothée et Nathanaël sont là ? », s’enquiert Danièle Sciacaluga, présidente de l’association. Les petits de deux à quatre ans font encore la sieste, mais une poignée d’enfants plus grands accourent à la rencontre des animateurs. Ils les aident à sortir les tables pliantes et les chaises que l’association laisse sur place pour ses interventions hebdomadaires.
Voilà bientôt dix ans que les bénévoles d’Espere se rendent tous les mercredis après-midi dans ce camp de Roms, l’un des rares à n’avoir jamais été démantelé par les forces de l’ordre dans la métropole lilloise. L’accueil qui est réservé aux animateurs traduit la relation de confiance qui s’est tissée avec la vingtaine de familles vivant dans ces maisons de bric et de broc, surplombées par une décharge à ciel ouvert.
Damian, 9 ans, et Iosif, 8 ans, entourent Anne-Sophie, bénévole depuis trois ans, pour jouer au loto des animaux. « Comment s’appelle cette bête ? », leur demande-t-elle. Damian s’exclame : « Un hérisson. J’en ai vu un hier ! » Il pioche une carte et déchiffre le mot « rouge-gorge ». Comme la plupart des enfants du camp, il est scolarisé. « Je suis en CE1 à l’école Joliot-Curie. Mon frère, Iosif, lui, est en CP », précise Damian.
Parler, lire, compter
Les parents sont soucieux d’instruire leurs enfants : « C’est important que mon fils Iaco aille à l’école pour savoir lire et écrire », témoigne, dans un dialecte mêlant le roumain et le romani, Restas Vilma, une maman arrivée en France il y a un an. Iosif traduit ses propos : « J’ai fait tous les papiers pour l’inscription, mais c’est long. Nous aurons la réponse à la rentrée de septembre. » En attendant, son fils peut profiter de ces séances de jeux pour améliorer son français. Lulu, étudiant en lettres, engagé dans le bénévolat depuis la fin des cours, envoie un freezbie géant à Marcel, un jeune garçon aux cheveux longs arrivé récemment dans le camp. Joseph, étudiant en droit, propose quant à lui des coloriages. Sur l’un d’entre eux, Samara, 7 ans, écrit son prénom, en chantonnant. « Tous ces enfants ont la passion du coloriage ! Ils nous en réclament à chaque fois, mais nous préférons commencer par des jeux de société, plus adaptés pour travailler la langue », souligne Danièle Sciacaluga. Inspirées des activités pratiquées dans les centres aérés, ces séances durent entre une heure trente et deux heures, dans le camp de Roms de Lezennes, ou plus rarement, dans celui de la rue de Bavay, à Lille. Elles permettent aux enfants qui parlent leur langue d’origine avec leurs parents, de renforcer leur apprentissage du français, tout en profitant de jeux qu’ils ne possèdent pas. « Ils parlent, lisent, comptent et s’appliquent à respecter des règles, comme ne pas se bagarrer », explique Danièle Sciacaluga. Selon les semaines, entre cinq et une quinzaine d’enfants sont pris en charge. « Nous venons au minimum à quatre bénévoles, car nous avons des enfants de tous les âges : les plus petits, parfois de moins de deux ans, demandent plus d’attention que les grands, davantage autonomes », pointe Anne-Sophie.
Discriminés dans leur pays
Enseignante de SVT du groupe EIC, à Tourcoing (59), aujourd’hui à la retraite, Danièle Sciacaluga a créé Espere, en 2013, dans le cadre du réseau Don Bosco actions sociales. « Au départ, je venais dans ces camps avec le collectif Solidarité Roms et gens du voyage, pour distribuer de la nourriture et des vêtements. Mais j’ai souhaité proposer autre chose, en apportant des jeux, et ainsi contribuer à la demande d’alphabétisation formulée par les familles », se souvient-t-elle.
Un prêtre salésien participait à l’époque aux actions menées par le religieux assomptionniste Arthur Hervet, surnommé « le curé des Roms » et décédé en 2020. C’est ainsi que l’association s’est intégrée au réseau Don Bosco.Lorsqu’elle enseignait en région parisienne, Danièle était partie en Roumanie avec le CCFD-Terre solidaire. Elle y avait constaté les discriminations subies par les Roms dans leur propre pays : « Souvent, la seule école à laquelle ils ont accès est celle réservée aux handicapés mentaux ! Et leurs maisons ne sont guère plus belles là-bas qu’ici », se désole-t-elle. En dix ans, elle a vu grandir de nombreux enfants. « Le premier que j’ai rencontré a aujourd’hui 18 ans. Malheureusement, après l’école, les jeunes poursuivent rarement des études ou les interrompent pour travailler, comme beaucoup de garçons, ou
pour s’occuper des enfants, comme cette jeune fille qui avait commencé un CAP Petite Enfance », regrette Danièle Sciacaluga.
Les bénévoles sont toujours heureux de participer à ces actions : « La joie de ces enfants est contagieuse ! », s’enthousiasme Anne-Sophie.
« C’est enrichissant et ça me permet de voir par moi-même ce qui se passe dans les camps de Roms, plutôt que de me contenter des médias », estime de son côté Joseph, qui a souhaité profiter de ses longues vacances d’étudiant pour s’investir dans une activité bénévole, comme son ami Lulu. Mais ce n’est pas toujours simple de trouver des intervenants. « Tout le monde ne peut pas s’investir une après-midi par semaine. Nous sommes donc toujours en recherche de bénévoles ! », confie Danièle Sciacaluga.
Au bout d’une heure trente, la quinzaine d’enfants commence à s’agiter. Danièle fait la grosse voix pour demander à un petit de descendre de la cabane sur laquelle il a grimpé. « Il est temps de lever le camp ! », lance Anne-Sophie. Les enfants se calment. Serviables, ils aident les bénévoles à replier les tables. Ils savent qu’une nouvelle séance de jeux est prévue la semaine suivante.