Enfants à l'exterieur

Des graines pour le futur

Ensemble scolaire Largenté, Bayonne (64)
Philippe Mayté Chef d’établissement 
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Dessin
© L. Estival

Des cours de cuisine pour réviser les maths, une initiation au Land Art pour cultiver sa créativité, un jeu de piste par équipes pour travailler sur la biologie et la solidarité…
Du 22 au 26 avril dernier, à Bayonne, la « semaine à Largenté autrement », organisée par l’ensemble scolaire Largenté, visait à renouveler l’apprentissage des savoirs et du vivre-ensemble.

Alors que le soleil pointe à peine à l’horizon, l’ensemble scolaire Largenté, à Bayonne, a, dès 8 h 30, des allures de ruche… Réunis autour de Philipe Mayté, le directeur adjoint, les enseignants, un gobelet de café à la main, participent au débriefing quotidien : bilan des activités organisées la veille, réception de la feuille de route du jour, pistes à explorer afin de trouver pour le lendemain un lieu à l’abri pour les activités sportives, la pluie devant de nouveau être de la partie… Cette task force est à la mesure de cette « semaine à Largenté autrement ». Tous les cours inscrits sur les agendas ont été remplacés pour cinq jours par une palette d’activités mêlant les collégiens de la 6e à la 3e. Les lycéens, également concernés, se voient proposer des projets spécifiques alternant avec des temps prévus pour les révisions, à quelques semaines du bac… À l’entrée de l’établissement, un stand avec comité d’accueil à la clé se charge d’orienter les élèves, quelque peu perdus face à cet inventaire à la Prévert, qui va de la confection d’un gâteau à la réalisation d’un journal en passant par une initiation au Frontball (une sorte de pelote basque à mains nues, populaire dans les pays en développement) : chacun doit rejoindre l’atelier auquel il s’est inscrit quelques semaines plus tôt…
S’il flotte sur l’établissement un parfum de colonie de vacances, réduire l’ensemble de ces ateliers à cette seule dimension serait aller un peu vite en besogne ! « Notre objectif : montrer aux élèves que l’on peut apprendre autrement que dans les cours classiques », résume Sandrine Maisonnave, professeur de mathématiques. L’enseignante utilise par exemple les recettes de cuisine pour faire réviser les fondamentaux de sa discipline. « Nous travaillons en cours sur les masses, des concepts souvent abstraits qui prennent soudain tout leur sens quand il s’agit de traduire les instructions en poids ou en volumes. » Les apprentis pâtissiers ne s’y trompent pas, mettant toute leur ardeur pour convertir 8/10e de litre de lait en centilitres. La réussite des gâteaux qui seront goûtés par l’ensemble de leurs camarades est à ce prix…

Pingouin esseulé

Dans la salle attenante, d’autres élèves s’exercent, sous l’œil d’un dessinateur professionnel, à la caricature de presse pour réviser leurs cours sur les proportions et cultiver leur imagination. Ils doivent, en effet, réaliser une affiche sur les conséquences des changements climatiques. L’idée d’un iceberg à la dérive, puis celle d’un pingouin esseulé tenant un pauvre poisson entre ses dents, symbole des mutations dont la menace pèse sur les espèces du Grand Nord, sont nées d’un brainstorming au cours duquel les élèves ont par ailleurs travaillé sur le concept de développement durable.

De salle en salle, comme dans le parc de l’ensemble scolaire, un même état d’esprit est à l’œuvre… À genoux dans l’herbe, sur un espace réservé à cet effet, Naoelle et Miléna, élèves de 5e et de 6e, mettent la dernière main à l’œuvre de Land Art réalisée avec un groupe de camarades. Elles ont composé un « tableau » à même le sol, à partir d’éléments naturels (pétales de fleurs, branches, feuille, pierres…). Chacune y va de son commentaire, échangeant avec les autres et prenant en considération les différentes opinions sur la façon d’organiser l’espace, de juxtaposer les matériaux, d’harmoniser les couleurs… « C’est fou de voir tout ce que l’on peut faire avec pas grand-chose ! La nature est tellement belle, il ne faut pas l’abîmer ! » s’enthousiasment les deux adolescentes.

Grâce à cet acte, Naoelle et Miléna ont visiblement davantage intégré le fil conducteur de cette « semaine autrement » sur le thème « Plus de liens, moins de biens » qu’en écoutant les enseignants leur rappeler que l’accumulation matérielle n’est pas synonyme de bonheur et que le travail collaboratif et l’attention portée aux autres sont plus épanouissants que le fait d’être « droit dans ses bottes »…

Philippe Mayté, à l’initiative de cette semaine pas comme les autres, ne cache pas lui non plus sa satisfaction de constater le bien-fondé de ses choix pédagogiques : « Quand nous avons lancé ce projet l’année dernière, nous voulions décloisonner les disciplines et proposer des itinéraires de découverte pour favoriser l’ouverture d’esprit des élèves sur d’autres réalités. Cette année, nous avons décidé de choisir en plus un thème qui est au cœur de notre projet d’établissement et de celui porté par notre tutelle, la congrégation des Ursulines », explique-t-il. Autre innovation : le groupe scolaire s’est rapproché d’acteurs locaux pour encourager les collégiens à découvrir ce qui se passe au-delà même du champ clos de l’établissement. Des travailleurs sociaux ont ainsi fait découvrir aux jeunes « l’épicerie solidaire » créée dans un quartier défavorisé de la ville. Les associations culturelles ont, pour leur part, proposé des visites du théâtre. Des opérations de sensibilisation à l’environnement entraînant les collégiens dans des actions de nettoyage des plages ont également été initiées par des partenaires extérieurs à l’ensemble scolaire. Une trentaine de structures locales ont accepté de répondre à l’appel.

Randonnée

Au quotidien, l’organisation de cette « semaine autrement » a été confiée à Mattéa Telleria. Licenciée en psychologie, elle effectue une mission de Service Civique dans l’établissement. Son cahier des charges : intégrer les désirs des élèves et imaginer, en lien avec les enseignants, des activités pour permettre aux collégiens de réviser les connaissances du socle commun, mais aussi pour leur offrir l’opportunité d’acquérir de nouveaux savoirs ou de réfléchir à la signification du vivre-ensemble. En amont, les professeurs n’ont pas non plus ménagé leurs efforts pour réfléchir à la manière de répondre aux attentes. Aucune discipline ni activité n’est restée à l’écart. En témoigne notamment l’implication de Mailys Navarre, chargée de la pastorale dans l’établissement : «J’ai proposé une randonnée sur le chemin de Saint-Jacques- de-Compostelle sans révéler aux collégiens l’endroit où je souhaitais les accompagner, explique-t-elle. Ce n’est que progressivement qu’ils ont compris où ils étaient, quand ils ont visité une chapelle et écouté le récit de personnes qui étaient dans une démarche de foi. Beaucoup ont vécu un temps d’intériorité très fort. Cette balade, comme toutes les autres activités, change également les relations entre élèves et enseignants. Nous passons plus de temps ensemble, du coup, nous nous découvrons davantage, et cela se ressent ensuite dans les salles de classe.»

« À travers cette “semaine autrement”, Nous cherchions à inciter nos élèves à agir en citoyens et à donner du sens à leurs actions. Former des jeunes avec des convictions, cela fait aussi partie de notre mission », poursuit Philippe Mayté. Cette « semaine » est en phase avec l’éducation à l’universel, au développement et à l’engagement solidaire que cherche à insuffler l’enseignement catholique. « Et même si, sur l’instant, la dimension ludique est très importante, nous semons des graines pour le futur. L’éducation, c’est ce qu’il reste quand on a tout oublié », philosophe Élisabeth Ménard, de la DDEC de Bayonne, venue en voisine découvrir ce projet ambitieux aux multiples dimensions…