Des elves actifs

Des élèves actifs et concentrés

École Bossuet, Paris (VIe arr.)
Isabelle Arnaud Barasz
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L’école Bossuet, à Paris, utilise la pédagogie personnalisée et communautaire depuis plus de trente ans. Une belle énergie règne dans les classes. Cette ambiance studieuse est obtenue de haute lutte par les enseignantes qui s’inspirent des « leçons de silence » de Pierre Faure. MIREILLE BROUSSOUS

Au fil de la matinée, Isabelle Arnaud-Barasz, enseignante de CP à l’école Bossuet, à Paris (VIe arr.), est entourée par un nombre croissant d’enfants, assis sagement par terre, qui attendent de lui présenter leur travail. « J’aime qu’ils entendent ce que je dis aux uns et aux autres, car ainsi ils apprennent énormément », explique cette experte de la méthode du père Faure, dont elle a suivi les cours avec passion à la fin des années 1970. Comme dans la pédagogie de Maria Montessori dont ce jésuite s’est nourri, les enfants choisissent leurs activités du matin et enchaînent des petites séquences de travail, seuls ou en duo. Deux fillettes s’installent à même le sol et, à l’aide d’une table de Séguin en bois clair, apprennent à reconnaître les nombres au-delà de 10. Certains élèves ont choisi de démarrer la journée en faisant des puzzles. D’autres effectuent des dictées muettes – l’un des outils phare de ces deux pédagogies – afin d’apprendre à lire. Avec Isabelle Arnaud-Barasz, ils nomment des objets ou des animaux représentés sur des cartes, puis prélèvent dans un présentoir les lettres mobiles dont ils vont avoir besoin pour « écrire » les mots correspondant aux images. Après avoir accompli leur travail, les écoliers viennent voir l’enseignante qui les aide à corriger leurs éventuelles erreurs et les encourage à poursuivre leurs efforts.

Un Trivial Pursuit des compétences

Si l’essentiel des outils utilisés en classe (lettres rugueuses, petits carrés de bois représentant des unités, barres des dizaines, table des centaines qui permettent une approche kinesthésique) provient de la méthode Montessori, Pierre Faure a ajouté sa touche. Ainsi, chaque enfant dispose d’un plan de travail hebdomadaire personnalisé qui lui permet d’avancer et le rend acteur de ses apprentissages. Par ailleurs, l’enseignante a dessiné un plateau inspiré du Trivial Pursuit, dont les enfants colorient les cases lorsqu’ils ont acquis les compétences correspondantes (cf. photo de droite). Ils l’auront entièrement rempli à la fin de l’année lorsqu’ils liront et calculeront sans difficulté. Le père Faure a aussi formalisé la dimension collective du travail en classe. Après la récréation et un moment de détente durant lequel la plupart des enfants dessinent – certains continuent à travailler ! –, la séquence de « mise en commun » peut démarrer. Les vingt-cinq élèves de la classe s’asseyent par terre et ceux qui le souhaitent peuvent expliquer aux autres ce qu’ils ont étudié le matin. « J’ai fait des équivalences », déclare la petite Aude d’une voix fluette. « Nous sommes deux maîtresses », précise Isabelle Arnaud-Barasz, qui l’aide à trouver les bons mots pour que ses camarades puissent comprendre qu’additionner 2 + 2 ou 3 + 1 donne un résultat équivalent. L’enseignante en profite pour aborder les nombres croissants et décroissants. Deux notions mimées par les enfants avec des gestes montants ou descendants afin de faciliter l’ancrage mémoriel. Le collectif est aussi à l’honneur en début d’année à travers des jeux de motricité et de mimes. Impossible d’amener d’un coup de baguette magique des CP à un tel niveau de concentration sans une sérieuse préparation. Isabelle Arnaud-Barasz entretient dans sa classe une énergie positive – les enfants se déplacent sans faire de bruit, s’entraident lorsque l’un d’entre eux fait tomber du matériel, etc. – dont elle sait calmer les ardeurs efficacement si nécessaire. En fait, elle a passé beaucoup de temps à créer une ambiance propice au travail en s’inspirant des « leçons de silence » du pédagogue. Les enfants ont effectué des petits exercices amusants qui ont favorisé les interactions : applaudir sans faire de bruit, fermer une porte en douceur… « Pierre Faure ne cessait de dire : “Il faut savoir perdre du temps pour en gagner”, se souvient Isabelle Arnaud-Barasz. Et il avait raison. Il s’agit d’amener les enfants à ce qu’il appelle la “normalisation”. Le mot n’est pas joli mais ce qu’il veut dire, c’est qu’il est essentiel que les élèves observent un certain nombre de codes. »

© M. BROUSSOUS

De même que l’on n’entre pas dans une bibliothèque en parlant à voix haute, ils apprennent à échanger entre eux discrètement. Quand la maîtresse fait tinter doucement une clochette, les enfants savent qu’ils doivent suspendre leur activité et rester où ils se trouvent « comme des statues ». Cela leur permet de se recentrer lorsque la classe devient un peu trop agitée. Par ailleurs, grâce à quelques petits gestes de l’enseignante, ils savent qu’ils ont fait un bon travail ou au contraire qu’ils doivent poursuivre leurs efforts. La communication non verbale tient une place importante dans cette pédagogie. Cette mise en place exige de la part de l’enseignante une énergie considérable. Mais finalement, elle n’a plus à élever la voix, à de rares exceptions près. « Si l’on n’effectue pas ce travail de façon rigoureuse dès septembre, on fait de la discipline toute l’année… », soutient-elle. Un bon climat de classe règne, ce qui n’empêche pas de rester vigilante et d’observer attentivement les enfants. « Lorsqu’une forme de bien-être s’installe dans une classe, on le ressent. Mais si un matin, le travail personnalisé n’est pas concluant, il faut être flexible et passer à autre chose. Il n’est pas interdit de donner de temps en temps un cours traditionnel ou de regarder des documentaires », ajoute Isabelle Arnaud-Barasz. La pédagogie Faure vient tout naturellement à bout de l’une des principales difficultés à laquelle sont confrontés les enseignants : des classes au niveau scolaire hétérogène. « Le fait que les enfants aient des niveaux différents ne me gêne pas. Certains élèves de ma classe savent lire, d’autres commencent tout juste à déchiffrer. Ce n’est pas un problème. Cela exige simplement d’accorder une grande attention à chacun, ce que permet cette méthode. Lorsque je constate un jour qu’un enfant n’a pas été actif et n’est pas beaucoup venu me montrer son travail, je me concentre sur lui le lendemain et l’encourage à travailler davantage. Cette pédagogie révèle les personnalités des élèves et permet de comprendre leurs besoins. À l’enseignant de s’adapter », conclut Isabelle Arnaud-Barasz.