élève

Décrocheurs et migrants dans une même classe

Ensemble scolaire international Massillon, Clermont-Ferrand (63) 
Yaëlle Pégart, directrice des études
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cour de récréation
© E. Veillas

L’ensemble scolaire Massillon de Clermont-Ferrand a ouvert cette année un dispositif qui permet à des élèves allophones ou décrocheurs de préparer un bac S dans les trois ans. Son expérience de l’accueil des élèves étrangers profite ainsi à des publics plus fragiles.

Naïm a le sourire. Ce jeune Syrien de 18 ans, arrivé en France depuis seulement quatre mois, découvre un logiciel sur l’ADN en TP de Sciences et vie de la Terre (SVT) au lycée Massillon de Clermont-Ferrand. Avec lui, deux autres camarades allophones sont inscrits dans le dispositif « Lycée Nouveau Départ ». Ouvert en septembre dernier, il permet à des élèves âgés de 16 à 25 ans, allophones ou en situation de décrochage scolaire, sélectionnés sur leur motivation et leur niveau en sciences, de préparer un bac S en vue d’études supérieures scientifiques. Dans un français pas totalement maîtrisé mais qu’il comprend très bien, Naïm exprime sa reconnaissance : « C’est une chance pour moi d’étudier ici, j’ai été très bien accueilli. » Ayant fui son pays avec sa famille pour rejoindre une tante à Clermont-Ferrand, il explique avoir déjà l’équivalent du bac et souhaiter faire des études de médecine en France. En intégrant ce dispositif, il s’agit pour lui d’apprendre la langue et de se remettre à niveau en sciences.

Trente-six nationalités différentes

« L’idée d’ouvrir un Lycée Nouveau Départ est née suite à une visite de Pascal Balmand dans notre ensemble scolaire il y a un an, explique Jean Moncelon, le chef d’établissement. Il trouvait intéressant que des jeunes défavorisés puissent bénéficier de notre expertise dans l’accueil des élèves étrangers. » Cette expertise, Massillon l’a acquise il y a vingt ans en signant un partenariat avec l’entreprise Michelin, qui l’engage à accueillir les enfants des cadres français de retour d’expatriation ou étrangers. Sur les 1414 élèves scolarisés cette année, l’établissement compte trente-six nationalités ! « Notre culture d’ouverture à l’international et d’accueil des parcours atypiques est une des conditions qui a rendu possible le Lycée Nouveau Départ », explique Yaëlle Pégart, la directrice des études. L’autre condition a été la mobilisation de l’équipe enseignante et de la vie scolaire. « Le dispositif a été bâti par une équipe de six enseignants volontaires qui se réunit tous les mois et selon les besoins des élèves », poursuit-elle. Car la force de ce dispositif est qu’il s’appuie sur une pédagogie différenciée. Dans une salle dédiée, les élèves ont leur propre cours de français, mathématiques, SVT, physique, anglais et histoire-géographie. Auxquels s’ajoutent quatre heures de français langue étrangère (FLE) pour les élèves allophones. Si l’objectif est de passer le bac S dans les trois ans, chacun s’y prépare à son rythme. Avec la possibilité, en fonction de ses progrès dans certaines matières, d’intégrer en cours d’année des classes du cursus général.

Deux mois après la rentrée, Yaëlle Pégart estime que les cinq élèves (trois allophones et deux en situation de décrochage) se sont bien intégrés. « Le premier enjeu est qu’ils se sentent bien ici et, pour certains, qu’ils se réconcilient avec l’École, pour avoir envie d’y rester », explique-t-elle. Une étape réussie grâce à l’attention portée à ces nouveaux élèves par l’équipe de la vie scolaire qui avait organisé à la rentrée un petit-déjeuner pour les accueillir. « Nous accompagnons aussi leur famille, par exemple dans leurs démarches d’obtention de l’aide personnalisée au logement (APL) », détaille la directrice des études. La bienveillance des élèves de l’établissement a aussi joué. Ce dont témoigne Naïm, auquel ses camarades ont expliqué les consignes en EPS, un cours que les élèves du Lycée Nouveau Départ partagent avec ceux du cursus général.

Clinton, 18 ans, qui a quitté l’Angola où il avait arrêté ses études pour rejoindre son père en France il y a six mois, se dit heureux de la diversité des cultures dans l’établissement. Cela lui a permis de parler sa langue maternelle, le portugais, avec des élèves brésiliennes ! Enfin, l’entraide au sein du Lycée Nouveau Départ permet aux décrocheurs de prendre confiance en eux en répondant aux questions de leurs camarades allophones, témoigne Yaëlle Pégart.

Sur le plan scolaire, le bilan est plus incertain. « On tâtonne, explique Christine Pic, enseignante de SVT. Un jour, le cours fonctionne d’autres pas. Je m’appuie sur les élèves moteurs pour faire comprendre les notions ». En français, les élèves allophones se trouvent plus en difficulté à cause de la barrière de la langue, sans que cela soit insurmontable, précise Solange Troadec qui les prépare au bac de français avec six heures de cours par semaine. « Ils ont un don d’imitation, comprennent souvent très bien et apprennent très vite », note- t-elle. Elle privilégie en début d’année l’oral et utilise fréquemment des visuels. Naïm et Clinton estiment faire globalement des progrès mais disent avoir des difficultés, en particulier en histoire. Pour Inès, 17 ans, c’est en anglais. Cette jeune Algérienne, en France avec sa famille depuis un an et demi, avait été orientée l’année dernière en lycée professionnel sans succès. Elle apprécie les cours en petits groupes : « Cela me permet de mieux comprendre », explique-t-elle. Elle voudrait poursuivre en médecine comme Naïm. Clinton rêve, lui, d’être architecte. Sur les cinq élèves, un a déjà « basculé », pour certains cours dans le cursus général. Cet après-midi, Lucas, 23 ans, qui était en situation de décrochage scolaire, intègre pour la première fois le cours de philosophie de terminale S.

L’enseignante est confiante. Très sensible au dispositif, Céline Ferréol souhaite l’insérer dans la classe en lui faisant rattraper son retard. « Sa présence montre aux autres élèves qu’il existe des parcours atypiques, explique-t-elle. Cela ne doit pas être considéré comme un échec mais comme une expérience. » Si, pour les enseignants, s’engager dans le dispositif requiert un certain investissement, l’aventure en vaut la peine. « L’enseignement était devenu une routine. En cours avec cinq élèves, je peux prendre du temps avec ceux qui sont plus en difficulté », expose Christine Coste, enseignante en anglais. Même sentiment pour Christine Pic qui parle même d’un nouveau souffle.
Pour l’établissement, l’ouverture du Lycée Nouveau Départ « est un challenge et il y aura peut-être des échecs, tempère Yaëlle Pégart, mais une dynamique a été lancée. Des parents d’élèves se sont proposés pour apporter de l’aide, des élèves aussi. Ce projet a du sens.»