De la bienveillance, même pour les intimidateurs
Institution Sainte-Marie, Belfort (90)
Noémie Jeancler, adjointe de direction
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À Belfort (90), l’institution Sainte-Marie expérimente la MPP (Méthode de préoccupation partagée) depuis un an et demi. Importée de Scandinavie, cette approche humaniste transforme la gestion des conflits, redonnant espoir aux élèves victimes et permettant aux intimidateurs de sortir d’une spirale toxique.
C’était de petites humiliations : regards désapprobateurs, rires moqueurs, remarques acerbes en cours d’EPS et dans les couloirs. « J’étais mal », se souvient Flavie, joyeuse élève de 5e. Ces premiers jours d’automne, ses yeux bleus ont retrouvé leur éclat. « Tout cela est derrière moi aujourd’hui », souffle-t-elle. Et puis la situation a été réglée en deux semaines. Dès que la MPP a été mise en place, la fille qui m’embêtait m’a laissée tranquille. »
Tous ceux qui ont expérimenté la MPP (Méthode de préoccupation partagée) – élèves, parents, enseignants – parlent d’une méthode « magique » et « révolutionnaire ».
Ce protocole suédois serait capable de désamorcer en un éclair des situations d’intimidation scolaire. « C’est une méthode approuvée », affirme Corinne Guerrin, cheffe d’établissement de l’institution Sainte-Marie, à Belfort (90). Depuis la rentrée 2023, l’établissement applique la MPP, après une expérimentation discrète l’année précédente en parallèle du suivi d’une formation inscrite au catalogue Formiris. Et le premier bilan est impressionnant : chaque mois, trois à quatre cas sont recensés et tous résolus. « La méthode s’appuie sur une approche humaniste, elle est opérationnelle aussi bien pour des élèves de primaire que de Tle », note Noémie Jeancler, adjointe de direction et responsable de la mise en œuvre du bien-être partagé dans cet établissement marianiste de 1 730 élèves. Face au fléau du harcèlement, ce protocole apparaît comme salvateur, à tout le moins réparateur.
Encourager l’empathie
Pourtant, la méthode n’est pas nouvelle : elle est née dans les années 1970 grâce aux travaux du psychologue norvégien Dan Olweus, parmi les premiers à identifier et à théoriser le harcèlement scolaire. À la même époque, Anatol Pikas, professeur de psychologie de l’éducation en Suède, développe ce qui deviendra la méthode de préoccupation partagée, qui a séduit Noémie Jeancler par son originalité : « Elle va à l’encontre des idées reçues en partant du postulat que l’intimidateur veut sortir du cycle d’intimidation. »
L’élève agit souvent sans mesurer la portée de ses actes, par grégarisme, cherchant à attirer l’attention de ses camarades et à gagner en popularité : « Il est lui-même pris dans une dynamique de groupe qu’il convient de briser pour encourager l’empathie », complète Corinne Tausendfreund, CPE des 6es et 5es. Bienveillante, la méthode préfère parler d’« intimidateur » plutôt que de « harceleur », et de « cible » au lieu de « victime ». « La frontière entre les deux est mince, rappelle Caroline Verdot, enseignante de lettres et membre de l’équipe MPP. Et un enfant qui a subi du harcèlement peut se transformer en intimidateur. »
Pas de confrontation directe
Importée en France dans les années 2010, notamment par Bertrand Gardette et Jean-Pierre Bellon1, la MPP, très codifiée, se déroule en trois étapes clés : d’abord, une série de « micro-entretiens » individuels visent à créer une prise de conscience chez l’intimidateur, sans le culpabiliser. « On commence par lui exprimer notre inquiétude pour le jeune en difficulté », précise Céline Gazzurelli, CPE des 4es et 3es. La deuxième étape consiste à demander ce que l’élève – auteur supposé mais jamais désigné comme tel – peut faire pour améliorer la situation de la cible. Enfin, la troisième étape implique un suivi attentif pour vérifier que les engagements sont respectés et que le bien-être est restauré. Ce protocole s’applique aussi à d’autres élèves – suiveurs ou juste témoins –, le tout sans confrontation directe. Tous ces entretiens se réalisent toujours sans accusation et dans un cadre bienveillant et neutre, comme le foyer plutôt qu’un bureau. « Cela crée un espace de réflexion sans que l’enfant ne se sente attaqué », souligne Céline Gazzurelli. Cette méthode favorise la responsabilité personnelle, sans enfermer l’élève dans un rôle de coupable. »
Surtout, en vertu de la MPP, les intimidateurs ont une chance de sortir de cette spirale qu’ils ont initiée, sans être étiquetés. « Cette méthode nous a amenés à repenser notre métier », fait remarquer Sonia Bouledjouidja, CPE du lycée. Avant, on parlait beaucoup, parfois des heures. Mais là, il s’agit de suivre un protocole précis : des questions simples, une discussion cadrée. » Cette approche amène l’intimidateur à trouver des idées pour améliorer la situation et il est chargé de faire un point lors d’une rencontre ultérieure. « Avec la MPP, nous ne sommes plus seulement des gestionnaires de sanctions, mais des médiateurs, ajoute la CPE. Nous cherchons à comprendre et à apaiser les situations. C’est un vrai changement. »
Pour les parents aussi, la démarche peut être déroutante. « Le caractère non blâmant de la méthode suscite parfois de l’incompréhension, voire des réactions agressives, car les familles trouvent difficile d’accepter une réponse bienveillante envers ceux qui ont fait souffrir leur enfant », estime Noémie Jeancler. Pour éviter toute culpabilisation, les parents des intimidateurs ne sont d’ailleurs pas systématiquement informés.
Une démarche apaisante
Sophie, la mère de Flavie et également enseignante en REP, ne savait pas comment réagir face à la situation. Elle disait à sa fille de ne pas y prêter attention, sans succès. « Ce n’est pas du tout ce qu’il faut faire », raconte-t-elle. Un appel de Noémie Jeancler, « un soir à 19 h 30 », lui a permis de prendre la mesure de la situation et de comprendre la méthode. « J’ai été bluffée par la démarche non culpabilisante, extrêmement apaisante et simple. Le fait de ne pas chercher à stresser les enfants ou à les sanctionner fonctionne. Tout a été réglé du jour au lendemain. » Chloé, en Tle, fait chorus. Elle aurait « adoré » bénéficier de la MPP plus jeune, durant une période où elle a été victime de moqueries et d’intimidations. « À l’époque, je ne me sentais pas autorisée à en parler, on n’était pas informés », se remémore-t-elle. C’est au cours de la semaine dédiée à la lutte contre le harcèlement, l’an dernier, que ses souvenirs sont remontés : Sandrine Hoffmann, de l’association Fair Play de Haute-Saône), y avait raconté l’histoire de sa fille, si violemment harcelée qu’elle a fini par mettre fin à ses jours. « Cela m’a beaucoup émue et, avec d’autres, on est allés voir les CPE pour enfin nous confier », témoigne la jeune fille. Une libération renforcée par la pensée que les jeunes générations ne devraient plus avoir de tels fardeaux à porter !
Co-auteurs de Harcèlement scolaire :
le vaincre, c’est possible, ESF, 2021.