Ces mots qui ouvrent des horizons

Collège de l'Assomption, Montpellier (34)
Bénédicte Langlois, professeure documentaliste
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Le collège de l’Assomption, à Montpellier (34), expérimente la bibliothérapie créative. Ce premier atelier, pensé pour aider une vingtaine d’élèves de 3ᵉ à réfléchir à leur orientation scolaire et personnelle, mêle lecture, introspection et écriture. Une expérience immersive qui place les mots au cœur du questionnement de soi.

Ces derniers jours de novembre, les mots se répandent, floconneux et délicats, dans le CDI du collège de l’Assomption de Montpellier (34). Marie-Line Bousquet-Lacas, professeure documentaliste, lit un extrait de Neige, le beau texte de Maxence Fermine paru en 1999 au Seuil. Ou plutôt, elle le « dit », s’amuse-t-elle. Elle le donne à entendre, elle le déploie lentement, patiemment. Page 14 : « Il était temps pour lui de choisir un métier », souffle-t-elle. Autour d’elle, un groupe d’adolescents écoutent sagement, joyeuse assemblée de 3es. Certains veulent devenir avocats, d’autres neurochirurgiens, beaucoup ne savent pas, n’y songent pas. « C’est encore loin », lance Sahori, blazer blanc, tout sourire. Avec ses camarades, elle est venue assister au premier atelier de bibliothérapie créative de l’établissement, une initiative pensée pour les aider à réfléchir à leur avenir : « L’orientation vers le lycée et vers les études est une question cruciale et qui peut se poser en des termes angoissants, explique Bénédicte Langlois, professeure documentaliste à l’initiative du projet. Or, les textes me semblent être une ressource précieuse pour se situer. Ils proposent des modèles, des points de repère. Je crois que cette mise à distance et ce retour à soi est nécessaire pour eux. »

« Relancer le récit de soi »

Ex-agente du patrimoine, l’enseignante explore depuis plus de vingt ans les vertus de la lecture à haute voix : « Dès l’âge de 19 ans, j’animais des ateliers de lecture dans des caves coopératives », raconte-t-elle. L’année dernière, elle s’est formée à la bibliothérapie créative.
Pour son atelier d’orientation, Bénédicte Langlois a ainsi proposé trois temps, suivis d’un travail d’écriture : il y a d’abord la lecture, la présentation d’un objet fétiche et l’ikigai, un concept japonais qui invite à s’auto-questionner sur ses désirs. « C’est une prise de risque de ma part, commente l’enseignante, qui se réjouit de la liberté offerte par la bibliothérapie créative. Il n’y a pas de recette magique, on est dans l’intuitif, dans un bien ressentir qui échappe à la règle. » Le choix de ses textes est volontairement éclectique, même s’ils ont tous en commun d’être évocateurs, remplis de métaphores et d’images, pour parler à l’inconscient. « Au-delà du style, j’ai choisi L’Écume des jours de Boris Vian pour l’attention accordée aux différentes manières de travailler, raconte l’enseignante. J’ai également choisi Susie Morgenstern pour ouvrir le champ des possibles aux élèves et Maxence Fermine pour l’importance qu’il donne à l’affirmation d’un choix personnel. Dans la bibliothérapie créative, il n’y a pas de présélection pour telle ou telle situation. On est modeste, on ne sait pas quel effet un texte peut avoir sur nous. »

« Une approche sensible »

Et à regarder les élèves si souriants et si joyeux, on devine qu’elle a vu juste : « J’ai beaucoup aimé que ce soit très différent », estime Lucie, qui souhaite faire des études de droit. Les discussions autour des textes sont guidées mais les enseignants font la part belle au ressenti : « On n’est pas dans une approche scolaire et technique des textes. On est dans une approche sensible », pointe Céline Benezech, professeure documentaliste à Nîmes, venue « se nourrir ». Elle songe elle aussi à proposer à terme de la bibliothérapie dans son CDI. « Cela permet de renouveler nos pratiques pédagogiques. »
Inventive, Bénédicte Langlois a également invité les élèves à partager un objet qui leur est cher. L’idée est de les aider à s’exprimer : certains ont pris avec eux, leur chaussure Crocs, d’autres, des dollars américains ou encore une médaille en or. Une élève est venue avec une lettre écrite à la main, ce qui a beaucoup touché Marie-Line Bousquet-Lacas : « Il s’agit d’une lettre écrite par sa sœur qui vit aux États-Unis. Elle a insisté sur l’importance de cette correspondance écrite, le toucher de la page. »

« Son cœur bat fort »

Faisant la part belle à l’éveil des sens, la bibliothérapie créative ne se limite pas à la lecture. L’atelier s’achève par un travail d’écriture, exercice par excellence de mise en récit de soi et du monde. « Son cœur bat fort », a ainsi rédigé Marie, à la troisième personne du singulier : « J’ai raconté ma rentrée en 2de. J’aime pouvoir écrire, choisir mes mots, ce que je vais raconter. » D’autres ateliers sont prévus dans l’année : « On songe même à proposer de la bibliothérapie aux élèves en difficulté, affirme Bénédicte Langlois. Il y a forcément un texte qui les attend quelque part. »