Apprendre avec les mains

École Saint-Vincent, à Brézé (Maine-et-Loire)
Pierre-Yves Charruau, chef d’établissement
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Pierre-Yves Charruau dirige la petite école Saint-Vincent, à Brézé, dans le Maine-et-Loire. Cet enseignant inventif a conçu plus d’une centaine de plateaux d’apprentissage que ses élèves explorent au cours de leurs trois années de maternelle. Un travail en autonomie qui s’est diffusé à tous les niveaux…

Au milieu des vignes et des champs, l’école Saint-Vincent se trouve à la sortie du village de Brézé, une commune rurale de 1 100 habitants du Maine-et-Loire. Ici, soixante-huit élèves sont scolarisés, de la petite section au CM2, dans trois classes multi-âges. La cour de récréation est vaste, peuplée d’enfants malgré la pluie qui tombe en ce jour de mai. Les petits vélos se croisent dans tous les sens. La sonnerie retentit, les maternelles rentrent en classe. Mouillés, tous retirent leurs chaussures, enfilent leurs chaussons. Certains vont changer de vêtements, aidés par l’Asem (Agent spécialisé des écoles maternelles). Pierre-Yves Charruau, chef d’établissement et enseignant en maternelle, prend sa guitare. Le retour en classe des vingt-cinq bambins, âgés de deux ans et demi à six ans, se fait autour d’une chanson pour apprendre à compter. Les petits s’assoient autour de lui quand ils sont prêts. Ici, pas d’activité obligatoire.

Chacun est libre de participer. Une fois la chanson terminée, chaque élève choisit un plateau d’apprentissage et s’installe où il veut. Alice s’est dirigée vers le plateau de la bougie : accompagnée d’une Asem, elle fait craquer une allumette, allume la bougie et constate qu’elle s’éteint lorsqu’elle est recouverte entièrement d’un pot en verre. Rose se concentre sur un jeu de construction. Éloïse transvase de l’eau avec une seringue en plastique et une éponge. Deux enfants s’installent pour peindre sur les grandes feuilles accrochées sur un mur. Plus loin, un petit garçon fait du yoga sur un tapis. Comme tous les lundis, la mère américaine d’un élève est venue parler anglais à ceux qui en ont envie.

« Le pain, c’est très concret »

Dans la classe, le calme règne, chacun est concentré sur sa tâche. Chaque jour, un ou plusieurs enfants font du pain. Ce matin, c’est Suzanne. Une fois pétrie, la pâte lève tranquillement. Le pain sera mis au four par l’Asem, seule étape que les petits ne peuvent accomplir seuls. « Ce qui les motive c’est de pouvoir le manger, sourit Pierre-Yves Charruau. Le pain, c’est très concret. Si on n’a pas bien travaillé la pâte, elle ne lève pas. » Une fois la pâte à pain terminée, Suzanne emporte ses ustensiles dans la cuisine et fait la vaisselle. Derrière l’espace boulange se trouve un coin bricolage avec des vrais outils (clous, marteaux, tournevis…). Chaque élève possède un carnet qui présente en détails les plateaux et les activités, rangés en cinq familles de couleur (le langage, la motricité…). « L’idée n’est pas de papillonner d’une activité à l’autre mais d’approfondir. Ils font des constats et on étudie aussi le vocabulaire », explique le professeur. L’apparente fluidité avec laquelle se déroule la journée repose sur un énorme travail en amont. Pierre-Yves Charruau a ainsi fabriqué entre 130 et 140 plateaux d’apprentissage. L’objectif est qu’à la fin des trois ans de maternelle, chaque élève s’en soit saisi. Chacun aura ainsi appris à son rythme.

Des puzzles complexes

Professeur des écoles depuis 1999, Pierre-Yves Charruau est arrivé à Brézé en 2014. « J’ai commencé par enseigner en cycle 3 (CM1 et CM2). J’ai alors constaté que les élèves étaient trop formatés. Ils ne savaient pas peindre seuls, par exemple. J’ai voulu reprendre les bases dès la maternelle », se souvient-il. À Saint-Vincent, il met en place petit à petit le libre choix d’activités et observe que les enfants avancent beaucoup plus vite. « Certains parents au début étaient inquiets, confie le maître. Ils me disaient : “S’ils font ce qu’ils veulent, ils ne progresseront pas.” Mais pas du tout ! Je pars du principe que l’enfant sait ce dont il a besoin pour apprendre. Certains ont déjà passé plusieurs semaines à réaliser des puzzles, jusqu’à en construire de très complexes et même les composer à l’envers, pièces retournées. Une fois qu’ils ont fait le tour de la question et acquis toutes les compétences qui vont avec, ils changent eux-mêmes d’activité. » Deux fois par an, les parents reçoivent un bulletin qui présente les acquis de leur enfant.

« Il fait du cousu main »

« On enseigne avec ce que l’on est. Pierre-Yves se nourrit des grands pédagogues. Il effectue du cousu main. Cela lui correspond et fonctionne avec son équipe, estime Françoise Launay, chargée de mission à la direction diocésaine du Maine-et-Loire. Son travail est intéressant pour les enseignants. Il faut s’enrichir des bonnes pratiques pour fabriquer son propre miel. Organiser la classe dehors, faire des propositions de motricité, utiliser de la pédagogie coopérative, de la pédagogie Montessori… » Deux Asem à mi-temps aident l’enseignant pendant la semaine. « Notre objectif est d’interrompre les enfants le moins possible dans leur activité », expose Pierre-Yves Charruau. Chaque semaine, il propose aussi à ses élèves de créer leur propre histoire, qu’ils raconteront devant la classe. Des albums jeunesse seront par ailleurs étudiés par tous pendant l’année. Mais il ne suffit pas de manipuler en classe pour apprendre, bouger est aussi important. Quel que soit le temps, chaque semaine, une demi-journée de classe a lieu en extérieur. Une sortie dans le village de Brézé, où les petits partent à la recherche de chiffres, de couleurs… ou une séance dans la nature. Et le mardi, tous les élèves apportent leur vélo à l’école.

Un conseil de coopération

Dans la cour, une cabane a été construite par les enfants. Ils montent dessus, déplacent les éléments, sautent depuis l’escalier. Aucun élève, même parmi les plus petits, n’est jamais tombé. Le directeur d’école se méfie toujours le premier mois, quand les bambins ne sont pas encore habitués. Mais une fois qu’ils maîtrisent leurs gestes, cela se passe bien. « Tout fonctionne parce qu’on leur fait confiance », souligne-t-il. En élémentaire, l’enseignement suit le même schéma, avec toujours un carnet par élève, beaucoup de manipulations et d’autonomie. Pas de pression du groupe, mais une émulation collective. « Cela permet à des enfants un peu différents de trouver leur place », pointe l’enseignant. L’école est aussi fière d’avoir cinq poules et un coq. Des poussins parfois. Les élèves ont le droit d’aller seul au poulailler, seulement s’ils ont obtenu la bonne ceinture d’attitude. Plutôt en fin de primaire. Pour changer de ceinture d’attitude, il faut, par exemple, respecter les sonneries, nettoyer et déposer son plateau à la cantine, ranger la cour… Ce sont les élèves qui décident lors du conseil de coopération hebdomadaire (seul temps obligatoire pour tous), si leurs camarades peuvent obtenir une nouvelle ceinture. Il existe sept couleurs de ceinture en tout. Pour les maternelles, c’est Pierre-Yves qui propose à l’enfant de demander le changement lors du conseil. En élémentaire, les écoliers doivent obtenir le soutien de quelques-uns de leurs camarades avant le conseil. Tout l’établissement a ainsi adopté une plus grande autonomie dans les apprentissages. Dans la bibliothèque, un élève de primaire s’est isolé pour travailler tandis que deux CM2 se sont installés dans la salle de motricité. Le bureau du directeur a été transformé en salle de travail pour qui veut, lui n’y passe de toute façon du temps que le soir ! Avec plusieurs années de recul, Pierre- Yves Charruau a les retours de ses collègues des collèges voisins où sont scolarisés les anciens élèves de Saint- Vincent. En 6e, ce sont des enfants autonomes, qui savent ce dont ils ont besoin pour apprendre. Ils participent, sont à l’aise dans leur corps et verbalisent quand quelque chose ne va pas, lui confie-t-on. De quoi rassurer définitivement les parents !