signes religieux

Abraham, notre aïeul commun

Groupe scolaire Sainte-Claire, Floirac
Valérie Montalbano, chef d’établissement
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Avec un tiers de ses élèves issus de l’immigration, le groupe scolaire Sainte-Claire à Floirac, dans la banlieue de Bordeaux, met un point d’honneur à développer une culture du vivre ensemble. Un projet de grande ouverture qui n’exclut pas la fermeté face aux demandes de certaines familles.

Situé en bordure de la cité de Dravemont aux immeubles marqués par le temps mais à deux pas d’une zone pavillonnaire, l’ensemble scolaire Sainte-Claire, à Floirac (33), qui accueille 850 écoliers et collégiens a décidé de jouer la carte de la mixité sociale et religieuse. « Nous devons apprendre à vivre ensemble et à nous respecter mutuellement, martèle la directrice du collège, Valérie Montalbano. C’est pourquoi nous accordons une grande place au dialogue et à l’échange tout en étant très fermes sur le cadre commun qui s’applique à tous car discuter ne veut pas dire être d’accord sur tout ! » La proposition de différents plats à la cantine ne pose pas problème pour l’établissement, la liberté de choix étant d’ailleurs souhaitée par l’ensemble des élèves. Lors des fêtes reli-gieuses, tout le monde est aussi accueilli pour partager un moment convivial apprécié par les élèves et les familles. Mais pas question de céder aux pressions de certains parents qui ne veulent pas que leurs enfants participent à des sorties scolaires à l’occasion de fêtes reli-gieuses… « Nous sommes aussi très vigilants sur le suivi des jeunes filles qui sont parfois un peu délaissées par leur famille au profit des garçons. Nous insistons sur leurs résultats scolaires, nous cherchons à les valoriser pour sensibiliser les parents à l’intérêt de bien réfléchir à leur orientation future. Nous venons, par exemple, de faire sauter une classe à l’une d’entre elles », ajoute Valérie Montalbano.

” Nous scolarisons la fille de l’imam ”

Pas question non plus, pour la directrice, de cacher le caractère catholique de l’établissement, d’autant que nombre de parents d’origine musulmane déclarent y inscrire leur enfant parce qu’on y parle de Dieu. « Nous scolarisons notamment la fille de l’imam de Cenon, une commune voisine », insiste-t-elle. Entendre parler de Dieu est d’ailleurs ce qui a poussé Madic à pousser la porte de ce collège en 6e après avoir fréquenté une école publique. « Ici, je me sens bien, je n’ai pas l’impression d’être jugé », raconte-t-il, à la sortie du cours de culture religieuse proposé à tous les élèves de 6e et de 5e, en plus de l’enseignement sur le fait religieux abordé en cours d’histoire-géographie.
« Ce que nous faisons n’a rien à voir avec du prosélytisme. Il s’agit, au contraire, pour chacun de mieux apprendre à comprendre l’autre », insiste Odile Ronflé, membre de l’équipe de la vie scolaire, responsable de cette tranche hebdomadaire obligatoire. Ce jeudi après-midi, Madic et ses camarades travaillent donc sur les trois religions monothéistes. Au tableau, un arbre généalogique sur lequel les élèves sont invités à placer les noms de Jésus, Mahomet, Moïse et Abraham. Pas de problèmes pour les deux premiers, plus compliqué pour les deux derniers… « Abraham, ça vous dit quelque chose ? », interroge Odile Ronflé. « J’en ai entendu parler par quelqu’un qui avait lu le Coran », répond Jassim. « Mais on en parle aussi dans la Bible ! », lui rétorque une élève. « Et également dans la Torah », ajoute Odile Ronflé. « L’objectif est de montrer que chaque religion, au-delà de ses différences, a des principes et des points communs. »

Un constat qui fait réfléchir Madic, content d’avoir découvert l’existence du judaïsme.
Il n’y a pas que dans le cours de culture religieuse que les élèves apprennent à prendre du recul par rapport à leur propre culture. Le cours de musique expose comment, au cours des siècles, les artistes se sont déplacés, ont été influencés par les pays traversés et comment ils ont puisé dans cet héritage de quoi enrichir leurs propres mélodies. « Ce mouvement de métissage se poursuit encore aujourd’hui, jusqu’à Ibrahim Maalouf, compositeur et musicien libanais qui mêle sonates, musique arabe et jazz », rappelle l’enseignante, Sophie Defer. Les élèves de 5e apprécient visiblement de passer d’un langage à un autre, comme aujourd’hui où ils découvrent le chant en canon.
Pour mettre tous les élèves sur un pied d’égalité, l’établissement souhaite en outre proposer une option arabe littéraire en 6e qui pourrait être suivie par tous. « Nous voulons valoriser les enfants arabophones, tout en les ouvrant sur une di-mension de leur culture qu’ils ignorent », prévient Valérie Montalbano. Enfin, l’ensemble scolaire a mis en place une caisse de solidarité pour que tous les élèves puissent participer aux séjours d’échanges linguistiques en Espagne, en Irlande ou aux États-Unis.

Une culture de la bienveillance

Dans cet établissement où un tiers des jeunes sont issus de l’immigration, le climat semble apaisé, dans les classes et dans la cour. « Chaque élève peut s’exprimer sans avoir peur. Nous avons un regard bienveillant », résume Muriel Poupelin, professeur de français au collège qui n’hésite pas, quand elle travaille en petits groupes, à aider les élèves ayant des difficultés à l’écrit dans la langue de Molière sans qu’ils soient pour autant stigmatisés.
Même après les attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, tout le monde s’est retrouvé pour libérer la parole sans aucun dérapage et la minute de silence a été parfaitement respectée. Ces événements tragiques ont d’ailleurs inspiré les élèves qui ont organisé une exposition sur ce sujet dont quelques panneaux sont encore visibles. La classe de 4e, qui planche sur un projet de journal d’établissement retraçant les principaux points saillants de l’année écoulée, a même choisi d’aborder ce thème dans son article phare. Mouna et Léo sont en train de rassembler des informations pour décrire minutieusement ce qu’il s’est passé. Main dans la main.
Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? « Il est vrai que nous ne vivons pas avec eux, une fois qu’ils ont franchi la porte de l’établissement. Le collège est un espace clos et la mixité n’est pas forcément la même à l’exté-rieur », reconnaît Valérie Montalbano, qui espère bien toutefois avoir semé des graines qui feront de ses élèves des bâtisseurs de paix.