À l’écoute de son cerveau
Lycée Jean-Baptiste-Le-Taillandier, Fougères (35)
Amélie Garnier, enseignante
Agnès Baudon, chef d’établissement
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Au lycée Jean-Baptiste-Le-Taillandier, à Fougères (Ille-et-Vilaine), des enseignants ont participé à deux recherches-actions sur les neurosciences appliquées à l’enseignement. Un travail qui a changé leur regard sur les élèves et modifié leurs pratiques.
Il est 16 h 30 au lycée Jean-Baptiste-Le-Taillandier, à Fougères (Ille-et-Vilaine), pendant le cours de français d’Amélie Garnier (photo). « Est-ce que l’un d’entre vous peut me dire de quoi nous avons parlé la dernière fois ? », demande l’enseignante à ses trente-six élèves de 1re. Lyzéa se lance, puis Armand. Elle les félicite et embraye sur le sujet du jour : l’œuvre poétique Les Mains libres, écrite à quatre mains par Man Ray et Paul Éluard. C’est le moment pour les lycéens de partager leurs premières observations sur l’ouvrage. Amélie Garnier valorise leurs remarques, les encourage lorsque la réponse est un peu hésitante et ne se formalise pas quand l’attention baisse au bout de trente minutes de cours. Elle sait qu’il est impossible pour ses élèves de rester constamment concentrés. Une façon de faire qu’elle a acquise au fil du temps grâce à ses découvertes en neurosciences. Il y a six ans, avec les quelque quatre-vingts enseignants de ce gros lycée général et technologique, elle a participé à une journée pédagogique sur le sujet organisée par son chef d’établissement Agnès Baudon, avec la chercheuse Pascale Toscani. « Je n’avais jamais entendu parler de plasticité cérébrale : cette journée a été le début d’une petite révolution pour moi », se souvient Amélie Garnier. Alors, quand Pascale Toscani propose aux professeurs qui le souhaitent de se lancer dans une recherche-action sur trois ans au sein de l’établissement, elle n’hésite pas. Neuf autres enseignants, toutes disciplines confondues, amorcent avec elle, en 2017, un vrai travail de chercheur. « La première année, on s’est formés en lisant de nombreux ouvrages sur l’attention, la mémoire, les biorythmes… et en échangeant nos fiches de lecture. Puis, il nous a fallu choisir un thème de recherche. Nous constations tous dans nos classes que nos élèves étaient sympas mais souvent peu concentrés. Nous avons donc décidé de travailler sur l’attention », explique Amélie Garnier.
Une tâche à la fois
Le groupe formule une hypothèse : si les élèves comprennent le fonctionnement de leur système attentionnel, ils seront plus attentifs en classe. Une intuition qu’ils vérifient au cours de la deuxième année de la recherche-action en testant dans leurs classes trois scénarios : un premier groupe d’élèves reçoit un apport théorique mais les cours ne sont pas modifiés ; un deuxième reçoit un apport théorique et les cours intègrent des techniques pour stimuler l’attention (rappel du cours précédent, synthèse à mi-cours des notions abordées, résumé en fin de cours des points clés de la séance) ; enfin, un groupe dit de contrôle ne reçoit ni apport théorique ni pratique. Au total, sept classes de la 2de au BTS sont impliquées. L’irruption de la Covid-19 a perturbé le bilan de la recherche-action prévu la troisième année mais les enseignants ont tout de même tiré de nombreuses leçons en analysant les questionnaires distribués aux élèves (avant et après formation) et en observant le comportement de leurs élèves en classe. « Lors des apports théoriques, on les soumettait à de petits tests, se souvient Magali Picaud, enseignante d’économie-gestion en BTS. Par exemple, ils devaient regarder la vidéo d’un match de basket et compter le nombre de passes entre les joueurs. À la fin, tout le monde avait trouvé le bon chiffre mais aucun élève n’avait remarqué qu’un gorille avait traversé le terrain ! Cela m’a fait comprendre à quel point il est impossible pour le cerveau de se concentrer sur plusieurs tâches à la fois, sauf si l’une d’elles est automatisée, comme rentrer chez soi en parlant avec un ami au téléphone. » L’enseignante prend soin désormais de ne rien dire à ses élèves quand ils recopient ce qui est écrit au tableau. « Je pensais bien faire et gagner du temps en leur parlant en même temps mais en fait je les perturbais », analyse Magali Picaud. Elle fait désormais régulièrement des pauses, répète certaines phrases, leur indique le plus clairement possible ce qu’il faut chercher dans un texte, accepte que les élèves ne retiennent pas tout de ses cours… Amélie Garnier, de son côté, explique aux élèves les principes du biorythme, l’importance de la qualité de l’alimentation sur nos fonctions cognitives et bien sûr résume le cours précédent.
Climat de confiance
Mais ce qui a surtout changé pour les deux enseignantes, c’est leur regard, « encore plus bienveillant », sur leurs élèves. « Cela a redonné du sens à mon métier, estime Amélie Garnier. Je ne les vois plus comme des vases dans lesquels on doit déverser des connaissances mais comme des êtres en construction, auxquels il faut donner confiance en leur expliquant comment ils fonctionnent pour mieux apprendre… » Par ricochet, ce changement de regard a modifié l’attitude des élèves. « Je n’ai aucun problème de discipline, ils ont senti que je m’intéressais à eux, que je voulais les comprendre », confie Amélie Garnier. « Ce qui facilite l’attention de l’élève en classe, c’est aussi le regard individuel que va porter le professeur sur lui. Il va ainsi se sentir considéré », confirme Dominique Delonglée, enseignant de français, qui a participé à la recherche-action. Des observations qui font écho à celles d’Ainsline Mary et Mathieu Marc, enseignants et responsables de niveau pour les 2des. Tous deux ont suivi de 2017 à 2019 une autre recherche-action, toujours avec Pascale Toscani, mais via la direction diocésaine, sur le thème de l’erreur. Ils ont été conduits à se questionner et à changer leur vocabulaire devant les élèves, préférant par exemple employer le terme « réajuster » plutôt que « se tromper ». Et ils ont expliqué aux lycéens pourquoi il était essentiel pour leur cerveau de commettre des erreurs… « Je suis devenue très attentive à la sécurité émotionnelle de mon groupe, car le climat de confiance est essentiel pour qu’ils puissent oser et s’autoriser l’erreur », observe Ainsline Mary, professeur d’histoire-géographie et latin, qui a conforté sa pratique depuis qu’elle s’est formée. Tout comme Mathieu Marc, professeur de physique-chimie, qui s’est rendu compte pendant ce cycle de trois ans qu’il n’avait « jamais appris auparavant comment marchait le cerveau des élèves ». Une découverte majeure qui a renforcé sa conviction qu’il lui fallait construire ses cours bien différemment de ceux qu’il avait suivis dans sa jeunesse : « Je ne faisais que recopier ce qu’il y avait au tableau. À présent, pendant mes cours, je parle cinq minutes puis je laisse les élèves chercher en autonomie et collaborer pour permettre la métacognition. » Agnès Baudon a observé ces changements de posture des enseignants : « Le rythme qu’ils impulsent en classe est différent, l’encouragement est central et leur façon de corriger un élève est particulière aussi… » Si elle se réjouit du fait que les évolutions infusent par capillarité dans l’équipe pédagogique, elle tient à ce que chaque enseignant se sente libre de se saisir des neurosciences ou pas. En attendant, plusieurs actions se sont mises en place dans le lycée : les élèves de 2de se voient proposer des petits temps de formation sur l’erreur, l’attention, les biorythmes…, et tous les lycéens ont pris l’habitude de déposer leur portable dans une boîte avant le début de chaque cours. À la grande satisfaction des enseignants, les jeunes semblent prendre au sérieux les recommandations qu’on leur adresse. « Je fais plus attention à mon temps d’écran », confie Cathy, en 1re. « Je me couche plus tôt », reconnaît Mathilde, quand Tom apprécie les rappels réguliers des notions clés par certains professeurs. Preuve que les élèves sont bien décidés à prendre soin de leur cerveau.