mobilisation-generale

14-18 : mobilisation générale

L’Institut de l’Immaculée, Évreux (27)
Christine de Méron, enseignante de français
Envoyer un e-mail

maquette-Philippe-FRETAULT
Maquette© Philippe FRETAULT / Photo : © D.R

Grâce au projet Voix [re]tranchées, 700 élèves de quatre établissements de l’Eure et des Yvelines redonnent vie aux 18 millions de disparus de la Première Guerre mondiale à travers un livre, une expo et un spectacle.

Depuis un an, on a l’impression de la vivre cette guerre qu’on ne connaissait que par des chiffres, des dates, les pages de nos manuels », explique Théo, en 3e au Sacré-Cœur de Versailles. Le projet Voix [re]tranchées l’a plongé dans une expérience sensible de la Grande Guerre, tout comme 699 élèves de la 3e à la terminale et 33 enseignants de quatre établisse- ments : l’Institut de l’Immaculée, à Évreux (27), le collège Sainte-Thérèse, au Mesnil-Saint- Denis (78), le collège du Sacré-Cœur et le lycée Notre-Dame-du-Grand- Champ, à Versailles (78). Investi avec 70 élèves dans le volet théâtral du projet, Théo a su transmettre sa vive émotion en incarnant l’un des rôles principaux du Grand Festin. Il y interprète un corbeau, qui se dispute une dépouille sur un champ de bataille, avec un pou et un rat, une fable sanglante dont les protagonistes rejouent la folie meurtrière des hommes. Les auteurs, Christine Méron, enseignante de français à Sainte-Thérèse, et Guillaume de Moura, homme de théâtre qui orchestre la dimension esthétique de Voix (re)tranchées, revendiquent une forme d’atrocité qui confine au burlesque : « L’objectif est de saisir le spectateur, pour le faire entrer de plain-pied dans la réalité de cette boucherie, et pour la mettre en résonnance avec des formes actuelles de barbarie. » Les élèves se sont passionnés pour le projet. Au final, plus de 1 800 contributions écrites ont permis de réaliser un recueil de 350 pages et une exposition itinérante. Les textes fournis relèvent en grande partie d’un immense échange épistolaire trilingue en forme de jeu de rôle. Les élèves y endossent l’identité d’un personnage d’époque vivant en France, en Grande- Bretagne ou en Allemagne : une femme de soldat faisant tourner la ferme, un poilu, un médecin dans un hôpital de campagne, une jeune fille travaillant dans une usine d’armement… Ces lettres s’inspirent de nombreux témoignages et documents d’époque recueillis dans les familles mais aussi de recherches personnelles sur Internet, de livres et de films, parmi lesquels l’excellent Au revoir là-haut.

« Les élèves ont croisé souvenirs familiaux enfouis et mémoire historique : l’arrière-grand-père pris dans l’enfer des Dardanelles ou l’arrière-grand-oncle mutilé dans la Somme. Cela a dynamisé le projet », expose Sylvie Lemonnier, enseignante de lettres à l’Institut de l’Immaculée. Guillaume, élève de 1re à Notre-Dame-de-Grandchamp, confirme avoir vécu le projet comme « une façon de montrer aux anciens que l’on reprend le flambeau du devoir de mémoire ». « On a libéré les “voix re-tranchées” et on a eu carte blanche pour le faire, explique-t-il. Il y a eu des poèmes magnifiques, beaucoup de BD et j’ai contribué à l’analyse musicale d’une chanson antimilitariste américaine, en tant que pianiste. »

Travaux d’arts plastiques autour des gueules cassées

C’est en anglais aussi que Charlotte, en terminale S à Grandchamp, a étudié l’histoire de l’escadrille La Fayette puis, en bonne scientifique, a consacré ses temps libres à la réalisation d’une maquette d’avion. « Un projet chronophage parce que j’avais envie de payer de ma personne, en hommage à tous ces soldats qui ont tant donné », déclare celle qui a beaucoup apprécié « les rencontres émouvantes avec les anciens et toutes ces anecdotes qui montrent combien la guerre a modelé notre époque, en participant à l’émancipation des femmes par exemple ». Les gueules cassées ont inspiré de multiples travaux d’arts plastiques et les visites des monuments aux morts, de savoureux textes d’invention. L’étude des avancées technologiques liées à la guerre – médecine, chimie, télécommunications – ont permis une large association des disciplines scientifiques et donné lieu à une exposition sur Marie Curie qui a sillonné les zones de combat avec ses antennes radiophoniques. Jusqu’au brevet blanc du Sacré-Cœur dont un exercice consistait à comparer le volume de terre pelleté à la main par les poilus à celui déblayé par les machines qui ont creusé le tunnel sous la Manche. « Il m’a valu des commentaires des élèves, critiques voire philosophiques, sur les copies montrant que Voix (re)tranchées a contribué à faire de nos jeunes des artisans de paix », se félicite Marie- Christine Falewne, enseignante de mathématiques. Cette responsable de niveau et actrice du Grand Festin poursuit : « Des amitiés sont nées et persistent entre élèves d’établissements aux profils fort différents ; les profs ont apprécié de travailler autrement, collaborant davantage entre eux et entrant dans des relations plus riches avec les élèves. »

Après une résidence pendant les dernières vacances de la Toussaint, les 70 théâtreux se retrouveront pour deux représentations, tandis que, le 11 novembre prochain, les professeurs et élèves des maîtrises du Sacré-Cœur et de Grandchamp animeront ensemble la messe à la cathédrale Saint-Louis de Versailles présidée par Mgr Aumonier. Entre les escales de l’exposition itinérante et les différents salons du livre, tels le prestigieux Histoire de lire à Versailles où sera présenté l’ouvrage éponyme, les voix des 18 millions de morts de 14-18 n’en ont pas fini de résonner !

theo-charlotte-guillaume
© D.R