Enfants

Progresser chacun à son rythme

Collège Frère-André à Saint-Calais
Gwenola Arrondeau
Envoyer un e-mail

Enfants
© FRÈRE-ANDRÉ/SAINT-CALAIS

Depuis une dizaine d’années, le collège Frère-André à Saint-Calais, dans la Sarthe, a mis l’accent sur l’individualisation des apprentissages. En répondant aux besoins de chaque élève, les enseignants luttent efficacement contre le décrochage scolaire. Un choix qui s’est révélé fécond durant le confinement.

Depuis une décennie, Marie-France Gauquelin, professeur d’histoire- géographie au collège Frère-André à Saint-Calais (72) a changé sa manière d’enseigner au collège. « L’accueil d’un élève en retard scolaire nous a conduits un jour à nous poser des questions. C’est ainsi que tout a commencé », explique-t-elle. Avant même de voir le handicap de l’élève reconnu, l’établissement a cherché des adultes prêts à l’accompagner dans ses apprentissages. Épaulé par une AVS (Assistante de vie scolaire), le jeune a aussi pu bénéficier de l’aide de ses camarades. Une mobilisation qui a déclenché une réflexion conduisant à une remise en cause radicale. « La principale leçon a été de nous rendre compte que chacun n’avait ni les mêmes besoins ni les mêmes attentes. C’est parce que nous nions cette évidence que certains jeunes sont en échec et perdent à la fois confiance et estime d’eux-mêmes », insiste l’enseignante. Dans ce collège situé « au milieu de nulle part », dans un bassin d’emploi sinistré suite à la fermeture d’une papeterie qui employait 900 personnes, relever ce défi n’était pas une mince affaire… La réponse apportée a notamment pris la forme d’une individualisation des apprentissages dans toutes les matières. Objectif ? Permettre à chaque collégien de progresser en fonction de ses lacunes mais aussi de ses envies. Les plus fragiles bénéficient d’un appui particulier à titre individuel ou en petits groupes, pendant que les plus solides reçoivent de quoi nourrir leur curiosité par la mise à disposition de ressources supplémentaires. Fini l’empilement de connaissances, plus au moins bien assimilées. « Ce travail oblige l’équipe éducative à définir des objectifs clairs et précis pour chaque jeune», insiste l’enseignante. Le sur-mesure peut aller très loin : « Pour un élève précoce qui se mettait lui-même en situation d’échec, nous avons même envisagé un PPRE (Plan personnel de réussite éducative) pour qu’il fasse les deux années du programme de 4e et de 3e en un an, illustre Gwenola Arrondeau, qui dirige l’établissement. Il ne l’a finalement pas souhaité mais cette possibilité lui a fait prendre conscience de son potentiel. »

Bienveillance et éducation au choix

En mettant l’accent sur l’individualisation des apprentissages, l’équipe a aussi été amenée à réfléchir sur l’évaluation. « Quand les élèves ont des difficultés à l’écrit, nous pouvons, tout en leur proposant de s’améliorer dans ce do- maine, privilégier l’oral pour mesurer la progression, poursuit Marie-France Gauquelin. Il nous faut aussi admettre que parfois nous ne pouvons pas éva- luer les résultats car les jeunes ne sont pas prêts, ce n’est pas le bon moment. Nous avons complètement changé notre façon de faire. » Marie Boulay, sa jeune collègue d’EPS, prend un réel plaisir à l’exercice : « Pour chaque sport, j’ai défini plusieurs niveaux et une règle de base : chacun, où qu’il se trouve sur mon échelle, a l’obligation de progresser. Cela permet de faire un travail en profondeur tout en remotivant les élèves, car les progrès sont à la portée de tous. En outre, pour chaque niveau, nous évaluons plusieurs compétences séparément. Chacune donne un certain nombre de points qui, ajoutés, com- posent la note finale. Ce qui permet de capitaliser sur ses points forts. »

L’entraide valorisée

L’individualisation des apprentissages, qui vise à redonner confiance aux jeunes, s’accompagne aussi d’un encouragement à la solidarité entre les élèves et à la généralisation de formes de bienveillance. « Nous sommes très exigeants sur les comportements », ajoute Marie-France Gauquelin, soucieuse de développer un état d’esprit positif. L’entraide est à ce titre valorisée car elle gratifie tant celui qui en est à l’origine que celui qui en bénéficie. Parallèlement a été menée une réflexion sur l’accompagnement permettant justement à chaque élève de mieux se connaître et de prendre conscience de sa valeur, premières étapes d’une éducation au choix. Dès la 6e, des jeux et exercices portent sur la reconnaissance des émotions et sur la façon de les gérer. En 5e, la découverte de l’intériorité constitue les prémices d’une réflexion. Chaque semaine, les collégiens sont en outre invités à faire un retour, en classe entière, sur ce qu’ils ont vécu ensemble en posant un regard positif. « Je me souviens d’un élève qui a dit qu’il aimait chez un autre collégien de sa classe sa capacité à faire rire. Celui qui était concerné a été très touché par ce compliment. Il suffit parfois d’un rien pour changer l’estime que les jeunes peuvent avoir d’eux-mêmes», indique la directrice. En 4e et en 3e, cet accompagnement est centré sur l’orientation. De multiples ateliers de découverte des métiers et des rencontres sont ainsi organisés.

Tout au long de leur scolarité, les élèves doivent pratiquer un exercice qui impose à chacun de construire un argumentaire sur un sujet donné. En 6e, il s’agit, par exemple, de décrire et vanter les qualités des animaux quand, en 3e, on privilégie des sujets de société. Chaque jeune a en moyenne trois fois par an la possibilité de se frotter à cette expérience enrichissante.

Trouver sa place dans le monde

« Cette pédagogie est un moyen de lutter contre le décrochage scolaire, résume Gwenola Arrondeau, qui a repris, avec quelques aménagements, cette dynamique impulsée avant son arrivée. Bien sûr, nous aimerions que les élèves améliorent leurs résultats scolaires mais ce n’est pas toujours évident. En revanche, ce qui nous donne envie de poursuivre, c’est que chaque jeune trouve, à l’issue de sa scolarité chez nous, sa place dans le monde. » Les abandons se comptent sur les doigts de la main et les choix de poursuite d’études après la 3e sont rarement remis en cause. Cette approche a aussi montré sa pertinence lors du confinement. Les AVS et les professeurs principaux, habitués à repérer les difficultés et à les gérer avant qu’elles mettent les élèves en situation d’échec, ont été en première ligne pour aider ceux qui ne donnaient plus de nouvelles. « Au final, aucun collégien n’a disparu dans la nature. Cette période particulière a de plus permis de renforcer les liens avec les parents. En pratiquant l’École à la maison, ils ont mieux compris le rôle des enseignants et sont désormais plus attentifs à ce que nous mettons en place », se félicite la directrice, qui voit dans ce rapprochement de nouvelles pistes éducatives à explorer.