Figaro, le meilleur ami d’Eloïse
École Sainte-Thérèse, Marquise (62)
Frédéric Bailly, chef d’établissement du groupe scolaire Sainte-Thérèse-Saint-Martin
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À Marquise, dans le Pas-de- Calais, l’école Sainte-Thérèse accueille depuis novembre Éloïse, une élève de CM1 handicapée, et son chien, Figaro. Une première dans le diocèse d’Arras.
Il est onze heures dans la classe de CM1 d’Aurore Harlay. Assise dans son fauteuil à l’avant-dernier rang, une élève, Éloïse, se concentre sur la leçon de maths sur les multiples. Près d’elle se trouve Angélique, son auxiliaire de vie scolaire. À ses pieds, sagement couché et à peine visible, voici Figaro, son labrador noir, qui la suit partout. Éloïse Feutry a dix ans. Elle souffre d’un déficit en neurotransmetteurs. Après avoir grandi normalement jusqu’à ses six ans, elle s’est soudain mise à perdre l’équilibre puis l’usage de ses jambes. Elle est en fauteuil roulant depuis l’âge de sept ans et ses mains sont de plus en plus faibles. Ses parents ont fait aménager la maison en fonction de sa maladie et Sabine, sa maman, a arrêté de travailler pour s’occuper d’elle à plein temps.
« Un jour, une personne du conseil général m’a informée de la possibilité de demander un chien d’assistance pour Éloïse », se souvient Sabine Feutry. À Alençon, en Basse-Normandie, Eloïse se familiarise pendant quinze jours avec près de dix- huit chiens spécialement formés. Au quatrième jour, elle choisit Figaro. Tout noir et d’un calme olympien, il l’assiste depuis dans toute sa vie quotidienne. « Il lui ouvre les portes, enlève ses chaussettes et son manteau, lui apporte la télécommande de la télé, énumère la maman… Il ne répond qu’à sa voix. » « Je communique avec lui grâce à une soixantaine de mots que j’ai appris durant la formation à Alençon », confirme Éloïse, très timide. Figaro l’accompagne au cinéma, dort dans sa chambre et vient parfois à l’hôpital quand elle doit subir des examens. C’est surtout un compagnon hors pair pour la petite fille. « Auparavant, elle ne sortait pas du tout de son fauteuil. Avec Figaro, elle essaye des choses. Je la sens heureuse. Ça la motive. » Figaro n’aboie pas et ne fait ses besoins que quand on le lui dit, le soir, sur une plage horaire définie. Des facultés qui ont un coût (13 000 €) que la famille d’Éloïse a pu assumer en partie grâce à la générosité de donateurs et à l’argent récolté via des actions menées pour faire connaître la situation de la petite fille.
Sainte-Thérèse en vrai Saint-Bernard
Problème : à l’époque, l’école publique dans laquelle elle est scolarisée n’est pas prête à accueillir le chien. Un enfant de la classe serait en effet allergique… Figaro reste donc à la maison pendant sept mois…privé d’école. Sabine Feutry s’inquiète pour sa fille. « Elle était plutôt bonne élève et je l’ai vue décrocher. Elle n’avait plus envie d’aller en classe. » De son côté, sans pratique quotidienne, Figaro perd ses acquis. En septembre 2013, la famille prend contact avec Pierre Tintiller, trente- cinq ans, directeur depuis sept ans de l’école Sainte-Thérèse de Marquise, 310 élèves. « Accueillir Éloïse, pour moi, c’était une évidence. » Pierre Tintiller reçoit les parents et clarifie certaines choses : quel est le caractère du chien ? Comment cela se passe-t-il pour ses besoins ? Et pour les voyages de classe ? Éloïse ne pourra sans doute pas participer à toutes les sorties… Il écrit une circulaire aux parents d’élèves pour leur présenter Éloïse et leur demander si leurs enfants sont allergiques aux poils de chien – c’était la seule condition. Le retour des parents est « très positif ». Côté enseignants, le personnel est d’abord « plus dubitatif ». Il faut dire que la situation est inédite. Aurore Harlay accepte en tout cas de relever le pari et prépare l’arrivée d’Éloïse. « Je suis allée sur le site internet du centre d’éducation de chiens d’Alençon. J’ai vite vu que Figaro avait été formé sérieusement. On y voyait aussi Éloïse en photo. J’ai pu ainsi la présenter au reste de la classe. »
La rentrée s’effectue en novembre 2013. « On avait peur que ce soit un drame pour elle de changer d’école, se souvient Sabine Feutry. En fait, cela s’est très bien passé. » En cours, Éloïse peut compter sur l’aide d’Angélique, son EVS1 (faisant fonction d’AVS) à plein temps. Elle l’accompagne dans l’ascenseur, l’aide à mettre son manteau, l’emmène aux toilettes. Comme ses mains se fatiguent vite, elle est équipée d’un scanner (financé par la Cotorep) qui lui permet de copier les feuilles d’exercices et d’y répondre directement sur ordinateur. Des adaptations minimes auxquelles l’enseignante s’est vite habituée : « Quand je fais des temps de remédiation pour revenir sur un point de cours avec un petit groupe d’élèves et que Éloïse en fait partie, je ne l’oblige pas à bouger. On se place autour d’elle. »
Un lien avec les élèves
L’accueil des autres élèves a été plutôt chaleureux. En hiver, Éloïse passe le plus souvent ses récrés dans la classe à cause du froid. Plusieurs de ses camarades se sont proposés pour lui tenir compagnie. Pour organiser le roulement, Angélique, l’EVS, a fabriqué une fleur en carton qu’elle a accrochée à la porte de la classe. Sur chaque pétale sont inscrits le jour correspondant et le prénom de l’enfant. Ce mardi, c’est Angèle, une blonde aux yeux bleus, qui se charge de tenir les portes grandes ouvertes pour faciliter le passage d’Éloïse et de Figaro, qui reviennent des toilettes avec Angélique. Plus tard dans la journée, tout le monde descend pour aller faire la photo de classe. Linh, élève de CM1, vient discuter avec Éloïse et ne manque pas de caresser Figaro. Le chien constitue un vrai lien entre la jeune fille et les autres élèves. Les enfants de la classe ont une sympathie pour celui qui favorise certainement le contact avec la petite fille.
Éloïse n’est pas indifférente à ce changement d’école. « Elle y a repris goût, note sa maman. Pas question de rater un jour de classe ! » Entre ses rendez- vous médicaux, ses séances de balnéothérapie, de kiné, d’ergonomie, elle continue de mener un véritable marathon. Elle souffle avec bonheur le vendredi, lors du cours de catéchisme. « C’est facultatif, précise la maman, mais ça a été une vraie découverte pour elle. Depuis, elle me demande d’aller à la messe et se plonge régulièrement dans son livre sur la vie de Jésus. » En elle, peut-être, résonne cette phrase d’Antoine de Saint-Exupéry que l’école Sainte-Thérèse a fait sienne : « Ta différence, mon frère, loin de me léser, m’enrichit. »