Saint-Jo met le turbo
Lycée général et technologique Saint-Joseph, Saint-Martin-Boulogne (62)
Thierry Maison, professeur d’ingénierie mécanique
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À Saint-Martin- Boulogne (Pas-de- Calais), tous les ans, en mai, la vie du lycée est suspendue aux « 24 heures de Saint-Jo », une course de voitures électriques radiocommandées, conçues et pilotées par les élèves. Un projet qui passionne les lycéens et développe leur esprit d’équipe.
Dans le Boulonnais, les « 24 heures de Saint-Jo » (entendez du lycée général et technologique Saint-Joseph de Saint- Martin-Boulogne) sont sans doute aussi connues que les 24 heures du Mans. Le 16 mai 2014, la presse locale couvre l’événement : une course de vingt voitures radiocommandées construites et pilotées par les élèves de l’établissement. Sur un circuit de quatre-vingt-dix mètres installé dans le gymnase, elles doivent parcourir plus de 200 kilomètres. La sono, qui diffuse du rap, ajoute à l’excitation du départ tout proche. Dans les stands, les équipes techniques procèdent aux derniers réglages. Les pilotes, en surplomb par rapport à la piste sont déjà dans les starting-blocks ; ils se relaieront toutes les deux heures.
12 h 30 : le départ est donné. Philippe Descamps, responsable de cet établissement de 1 200 élèves, est bien sûr présent de même que la trentaine d’enseignants (un quart des effectifs) directement impliqués. Les petits bolides démarrent en trombe. Parmi les vingt voitures électriques, une star est l’objet de toutes les attentions : une voiture à hydrogène très innovante, mise au point par des élèves de 1re STI2D (sciences et technologies industrielles et du développement durable). « C’est la troisième année que nous faisons concourir ce type de modèle », explique Daniel Kern, enseignant en ingénierie et instigateur de cette course avec Thierry Maison, professeur de génie mécanique. « L’hydrogène est obtenu par électrolyse, l’électricité, elle, provient de panneaux solaires. C’est une voiture propre ». L’écoconception donne tout son sens à ce projet d’établissement qui a vu le jour en 2003.
Afin de compenser l’aluminium et l’acier nécessaires pour la fabrication des voitures, 60 000 canettes de métal ont été collectées par les élèves en vue d’être recyclées, et l’argent récupéré a été remis à une association caritative. Tous les fils utilisés sont ceux de vieux ordinateurs destinés à la casse. Chaque année, un nouveau défi environnemental est relevé : ainsi, par rapport à l’édition 2013, les voitures de la cuvée 2014 doivent réduire leur consommation d’énergie de 20 %. Dans les stands, une dizaine d’élèves sont mobilisés pour faire tourner les bolides. Ils ne sont pas tous aussi complexes et performants les uns que les autres. En fait, il existe trois catégories de voitures. La catégorie LP3 correspond à des engins achetés dans le commerce et pilotés par des élèves de 3e venant de quatre collèges avoisinants. Objectif des enseignants de Saint-Jo : valoriser la filière technique auprès des collégiens. Les voitures de catégorie LP2 sont, elles, construites par les élèves de 2de, mais aucun défi particulier ne leur est imposé hormis celui de réduire au maximum leur consommation énergétique. Les voitures LP1, construites par des élèves de 1re STI2D, pivots de la course, sont les plus sophistiquées. « Ce sont de vraies créations, explique François Chevalier, élève de 1re STI2D et chef d’équipe. D’abord, nous faisons des recherches sur papier, ensuite nous dessinons les voitures puis les pièces en CAO 3D et nous les usinons. En fin d’année, nous procédons à l’assemblage. » Cinq prix différents sont remis : innovation, énergétique, design, environnement et organisation des stands. Après la course, tous les véhicules sont démontés, analysés en vue d’être améliorés l’année suivante. Au niveau pédagogique aussi, rien ne se perd…
Du concret dans la formation
Dans les classes de terminales — baccalauréat oblige — seuls les volontaires participent à la course. « Au sein de la classe, nous nous sommes répartis le travail par spécialités : panneaux solaires, télécommande, voiture, explique Élisa, la seule fille de sa terminale STI2D. Sur notre voiture, il y a un double accumulateur, qui lui donne une autonomie de quatre heures. Cela nous oblige à travailler sur la répartition des masses et le centre de gravité de la voiture. »
Les élèves en BTS section IRIST (informatique et réseaux pour l’industrie et les services techniques) sont eux aussi sollicités. Cette année, ils ont mis au point un système de comptage des tours réalisés par chacune des voitures et s’assurent grâce à un contrôle technique très précis que celles-ci soient bien conformes au règlement de la course. « Grâce aux 24 heures, il y a un véritable décloisonnement entre les différents niveaux d’études. En outre, ce projet permet aux enseignants d’être aux côtés de leurs élèves. Les notes n’ont aucune importance, tous les lycéens quels que soient leurs résultats scolaires, contribuent au projet. Il ne laisse personne sur la touche », affirme Philippe Descamps.
Une dimension militante
Pour Thierry Maison, passionné par son métier, les 24 heures ont aussi une dimension militante. « En STI2D, il n’y a plus de réalisations concrètes. La simulation sur ordinateur a remplacé le travail manuel », regrette-t-il. La course vient remettre une bonne dose de concret dans la formation. Les voitures doivent être conçues, usinées, perfectionnées d’une année sur l’autre. « Les élèves doivent aussi apprendre à organiser le travail, à trouver leur place dans l’équipe », insiste-t-il.
C’est justement cet esprit d’équipe qu’apprécie Élisa. « L’esprit d’équipe l’emporte sur l’esprit de compétition. Cette course nous rend aussi très polyvalents, elle nous apprend à nous débrouiller. Nous travaillons sur un projet, à l’instar de ce qui se fait dans les entreprises industrielles. Cela nous fait grandir. » Si cette course passionne tant les lycéens, c’est aussi parce qu’elle suscite de belles émotions. « La nuit, on sent la fatigue mais c’est aussi le moment le plus intéressant. Il y a des jeux de lumière, les voitures ont leurs phares allumés. C’est une autre ambiance », poursuit la jeune fille. Certains anciens du lycée lâchent leur travail pour venir donner un coup de main. « C’est grâce à eux que nous parvenons à créer cet événement car les lycéens doivent être guidés. Ils sont trop jeunes pour se prendre vraiment en charge », indique Thierry Maison. L’objectif est maintenant d’aller encore plus loin pour transformer les 24 heures boulonnaises en événement international. « Ce que nous souhaiterions, c’est qu’un lycée d’un autre pays européen organise lui aussi une course du même type », indique le professeur de génie mécanique. Pour l’année prochaine, les projets ne manquent pas. Un bateau de pêche muni d’un système à hydrogène sera fabriqué et exposé lors des 24 heures. « Cette course a lieu depuis plus de dix ans, mais chaque année, c’est un nouveau chantier qui se met en place parce que les défis technologiques se renouvellent en permanence », conclut Philippe Descamps.