Au cœur du vignoble

Ensemble scolaire Saint-Coeur de Beaune (21)

Établissement associé de l’Unesco, l’ensemble scolaire Saint-Coeur de Beaune (21) a étudié durant trois ans l’impact de la crise écologique sur le vignoble qui entoure la ville. Bilan : un film de bonne facture réalisé avec les éco-délégués, du primaire au lycée, et des échanges qui ont transformé leur regard sur l’environnement.

À quelques centaines de mètres des vignes, pouvaient-ils choisir un autre sujet ? En octobre dernier, les éco-délégués de l’ensemble scolaire Saint-Cœur, à Beaune (21), ont présenté un film sur lequel ils ont travaillé durant trois ans, qui décrit l’impact de la crise environnementale sur les climats de Bourgogne, ces parcelles de vignoble, qui, en Côte-d’Or, s’étendent à perte de vue. Même lorsqu’elles se touchent, elles « ont leurs propres caractéristiques et vont chacune produire un vin particulier », explique un intervenant du documentaire. Cheville ouvrière du projet, l’adjointe de direction, Carole Thibert, raconte sa genèse : « En 2019, j’ai évoqué la question du dérèglement climatique avec les élèves. L’un d’eux m’a tout de suite demandé si le patrimoine viticole était en danger. Un autre a suggéré que l’on en fasse un film. » Après quelques tâtonnements, l’établissement contacte l’association des climats du vignoble de Bourgogne qui a porté l’inscription de ces précieuses parcelles au patrimoine mondial de l’Unesco… et qui devient vite un soutien actif du projet, tant pour dénicher des intervenants pertinents que pour boucler un budget rondelet. Les 17 420 euros nécessaires sont aussi trouvés auprès des parents d’élèves de l’Apel, d’autres mécènes et grâce aux crédits académiques du fonds d’innovation pédagogique.

Du lien au sein de l’ensemble scolaire

Si Carole Thibert s’improvise scénariste et ne compte pas ses heures, la réalisation est confiée à un professionnel, Kyllian Jobard, ancien élève de l’établissement aujourd’hui à la tête d’une agence de production audiovisuelle. Au-delà de son propos pédagogique, le film remplit plusieurs missions. Il crée d’abord du lien entre les deux écoles primaires, le collège et le lycée qui composent l’ensemble scolaire. « J’étais en CM1 quand on a commencé. Je ne cache pas que j’avais un peu peur des 3es et des lycéens », témoigne Gabriel. Au fil du temps, les élèves apprennent à se connaître et à travailler ensemble. Et quel que soit leur âge, ils se font happer par leur sujet. « On dit souvent que les collégiens sont immatures. J’ai été impressionné par leur curiosité », rapporte Laurent Chorier-Pichon. Professeur d’histoire-géographie, il assiste à deux rencontres avec des experts et propose lui-même un jeu dans les rues de Beaune et un atelier sur le dérèglement climatique. Aujourd’hui, il avoue se sentir plus à l’aise pour appréhender dans sa complexité cette question au programme de 5e. Il a aussi fait évoluer sa pédagogie. « J’accorde maintenant davantage de place à la spontanéité des élèves en partant de leurs interrogations. »
Les jeunes ont eux aussi modifié leur rapport aux adultes. « Au début, je me suis dit que travailler avec une directrice, ça allait être très cadré, euphémise Mathieu, en 5e. Mais dans les faits, j’ai compris que nous pouvions discuter. » Chacun trouve sa place dans le projet. Dans une génération que l’on dit davantage concernée par les enjeux environnementaux, et donc un peu effrayée, Callixte, en 3e, s’estime « plutôt réconforté de voir que les intervenants ont aussi conscience des problèmes ». Idem pour Timothé, en 2de, qui regrette que « certains copains considèrent que la crise écologique est acquise et qu’on ne peut rien y faire ». Le documentaire évite de fait deux écueils : passer à côté de son sujet en minimisant les risques et tourner au pamphlet.

Partenariats et interventions multiples

Cela tient entre autres à la multiplicité des interventions, dans le collège ou hors les murs. Par groupes et la plupart du temps en dehors des heures scolaires, les éco-délégués rencontrent des viticulteurs et d’autres salariés du secteur (en bio, biodynamie et conventionnel), l’ONF (Office national des forêts), la chambre d’agriculture, un maraîcher, la LPO (Ligue de protection des oiseaux), l’association des climats du vignoble de Bourgogne… une manière d’évoquer dans sa globalité l’écosystème qui fait la typicité des sols bourguignons et l’interaction entre la plaine et les climats. Ces apports ont décuplé les connaissances des élèves sur la géologie, la dimension culturelle des territoires ou la biodiversité. Chacun y picore aussi de quoi s’approprier les enjeux environnementaux contemporains. « Désormais, les jeunes nous interpellent au quotidien dès que quelque chose ne va pas dans l’établissement. Sur la gestion des déchets papiers, par exemple », illustre Laure Descaves, responsable de la vie scolaire. Même chose à la maison, où Callixte raconte, par exemple, avoir installé un compost et commencé à cultiver des légumes selon les techniques évoquées chez un maraîcher.

Avant même la projection du film, le 10 octobre dernier en avant-première dans un cinéma de Beaune, puis le 18 octobre pour les élèves de Saint-Cœur, lors d’une journée Unesco, ce travail a été valorisé dans les classes, par des échanges informels entre copains ou plus institutionnalisés en cours. « En primaire, quand je revenais des rencontres, mon enseignant me proposait toujours d’expliquer en quelques minutes ce qu’on m’avait dit », rapporte Gabriel. Certains parents sont aussi touchés, parce qu’ils ont assisté à un tournage ou même participé au projet, comme cette mère, viticultrice qui « a changé sa manière de présenter le domaine en voyant nos réactions et nos questions », si l’on en croit sa fille Ana, en 3e. Quant à Timothé, il a beaucoup discuté avec son père jardinier sur l’intérêt de faire coexister certaines plantes. Carole Thibert, heureuse de ces retours, se rappelle les propos d’un élève, après un atelier : « Il avait tout retenu et m’a confié que ça l’avait passionné. Quand on s’engage dans un tel projet, c’est une belle récompense. »