Jeunes et vieux, les mains dans la terre

école Ste-Marie, à Plouigneau
Adeline Boyer et Kristelle Créach
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À Plouigneau, près de Morlaix (29), l’école Sainte-Marie a créé, avec l’aide de la mairie, un potager dans le jardin de l’Ehpad voisin. Entretenu par les résidents et les élèves, il est aussi accessible aux trois écoles publiques de la commune et aux jeunes du centre de loisirs. 

Créer un potager pour travailler dehors avec les élèves et entretenir des liens avec des personnes âgées. C’était le souhait d’Adeline Boyer, jeune enseignante de CE1-CE2 à l’école Sainte-Marie de Plouigneau, petite commune de 5 000 habitants située dans le Finistère. Quelques mois d’échanges avec la mairie ont suffi pour que son projet devienne réalité. Dans le parc de l’Ehpad Kreizker, à cinq minutes à pied de l’école, salades et radis ont commencé à pousser ! Et en cette journée ensoleillée, enfants et personnes âgées s’apprêtent à partager un bon goûter après avoir installé au-dessus des 40 m2 de plantation une banderole sur laquelle est écrit « Jardin du bonheur ».

L’enseignante est allée vite. Imaginé en octobre, le potager a été inauguré en mai dernier. « Après concertation avec la mairie, nous avons proposé à l’Ehpad de l’implanter dans son jardin. Cela permettait de le rendre accessible aux trois écoles publiques de la commune et aux jeunes du centre de loisirs. Quelqu’un allait aussi pouvoir s’en occuper durant les vacances scolaires ! », pointe Adeline Boyer.

L’idée a tout de suite plu à l’équipe de l’Ehpad, déjà proche des écoliers de Sainte-Marie : depuis deux ans, les élèves de moyenne et grande section de maternelle partagent en effet des ateliers de jeux de société avec les résidents et leur écrivent une carte de vœux en janvier, tandis que les CM y font leurs olympiades. 

Adeline Boyer a impliqué ses vingt-et-un élèves dès l’ébauche du plan du potager. « On l’a dessiné en imaginant des espaces au sol et d’autres plus en hauteur, dans des sortes de jardinières, pour que cela soit plus facile à entretenir pour les personnes âgées », racontent Milio et Noah, élèves de CE2. Sur leur dessin réalisé au crayon de couleurs, les enfants ont également représenté une cuve de récupération des eaux destinée à arroser les plantations.

Radis, salades et carottes

Leur dessin a ensuite été envoyé aux services techniques de la mairie : ceux-ci l’ont traduit en une version opérationnelle et ont ajouté un cabanon destiné à entreposer le matériel. Les travaux ont été réalisés par les adolescents de la commune, via le dispositif « Argent de poche » qui permet contre la réalisation de petits chantiers de proximité de gagner un peu d’argent. Les achats des semis ont été partagés entre l’école Sainte-Marie et l’Ehpad, et la mairie a financé le cabanon et les outils. Adeline Boyer ya ajouté des espaces de travail comme ceux qu’elle a installés dans sa classe flexible. « Le projet a été peu coûteux. Nous avons récupéré des tourets et des palettes qui permettent aussi aux élèves de s’assoir à côté des plantations après avoir travaillé », note-t-elle.

En mars, le potager était fin prêt ! Depuis, une semaine sur deux, en alternant avec les moyens-grands de maternelle, les élèves d’Adeline Boyer s’y rendent pour bêcher ! « On a planté des radis, des salades, des carottes, des oignons, des artichauts, du céleri, de la ciboulette… », liste Mila. « On a sélectionné tout ce qui poussait bien dans notre région et qui allait sortir de terre rapidement », complète son enseignante. En parallèle de ces travaux pratiques, Adeline Boyer a fait travailler en classe ses élèves sur la germination, le cycle de l’eau… et leur a appris à identifier les différents outils qu’ils ont à utiliser : râteaux, griffes, pelles, bêches… Quand ils sont au potager, les élèves travaillent en petits groupes, exactement comme en classe : certains plantent ou arrosent les parcelles au sol ; d’autres discutent et entretiennent les jardinières avec les cinq à six personnes âgées qui participent au projet. D’autres encore réalisent un travail assis autour des tourets : dessin d’un plant de légumes, tâche d’écriture sur le thème du potager… Les enfants apprécient particulièrement ces séances de travail délocalisées en plein air : « C’est bon d’être dehors, on entend le vent, les oiseaux. C’est le paradis ! », estime Travis, en CE1. La fierté de réaliser quelque chose de leurs mains et de voir grandir ce qu’ils ont planté est aussi importante :« On fait pousser un légume qu’on peut manger, que les résidents vont pouvoir manger et qui est naturel », souligne Younès, en CE2. « Chez eux, plusieurs enfants ont un potager mais souvent on ne les laisse pas autant jardiner », renchérit Adeline Boyer.

Les liens avec les résidents de l’Ehpad se sont tissés facilement. « Les personnes âgées sont drôles, nous font des blagues, s’intéressent à nous en posant des questions et parlent de leur jeunesse », expliquent les élèves. Ces derniers peuvent même compter sur l’aide de deux experts : André et Sébastien, anciens maraîchers et agriculteurs désormais résidents de l’Ehpad, transmettent aux enfants les gestes qu’ils ont répétés toute leur vie.  « Parfois, ils sont un peu pointilleux et nous grondent, s’amuse Adeline Boyer. Mais avec eux, les élèves sont beaucoup dans l’observation. » Ils ont ainsi pu apprendre que les artichauts ne s’arrosent pas par le haut, de crainte de casser leurs feuilles, mais sur le côté.

Un projet intergénérationnel

« C’est vrai que les enfants peuvent parfois être un peu turbulents, aller à droite à gauche », reconnaît André, plutôt discret mais dont on sent le plaisir à s’occuper de ces nouvelles parcelles. Ginette, une des résidentes, le voit passer sous ses fenêtres chaque matin à 9 h 30, « un arrosoir dans chaque main ». Il vérifi e si la terre est humide, jette un œil aux plants les plus fragiles… 

Julie Argouarc’h, dynamique animatrice de l’Ehpad Kreizker, est heureuse de ce nouveau projet commun et « sur le long terme », qui enthousiasme ses résidents : « Sébastien est habituellement assis. Je l’ai vu la dernière fois dans le potager se mettre debout avec les enfants. Cela m’a sidérée ! », lâche-t-elle. Céline Le Morvan, enseignante de moyenne et grande section à Sainte-Marie, qui conduit ses élèves au potager la semaine où Adeline Boyer n’y va pas, apprécie l’aspect intergénérationnel de ce projet. Selon elle, « il apporte aux élèves une ouverture d’esprit, un lien nouveau vis-à-vis des personnes âgées et les confronte aussi au handicap », certains résidents étant en fauteuil ou souffrant de troubles cognitifs.

Label Éco-École

Quant à Kristell Créac’h, la cheffe d’établissement, elle apprécie le potager qui, en plus de permettre de faire classe dehors, « sert à toute l’école. Nous avons le label Éco-École depuis 2022, donc le potager s’intègre dans cette dynamique. Et il a été très bien accueilli par les familles ». Cet été, ce sont l’Ehpad et les jeunes inscrits au centre de loisirs de la commune qui ont assuré la croissance des légumes, pendant que les enfants étaient en vacances. Cette année, le projet devrait prendre de l’ampleur avec la création de nouvelles parcelles pour agrandir le potager. « Je ne sais pas encore si je continuerai à m’y rendre avec mes élèves. Je souhaite que d’autres classes de l’école puissent bénéficier du projet, on verra… », confie Adeline Boyer. Nina, en CE1, espère, quant à elle, y retourner. Elle confie : « Les résidents m’ont manqué pendant l’été, et le potager aussi. »