L’art et les manières
Collège rural Jean-Pierre-Calloc’h, Locminé (56)
Anne LASSEMBLEE, professeur-documentaliste
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À Locminé (56), le collège rural Jean-Pierre-Calloc’h multiplie les projets pour donner le goût de la culture à ses élèves. Résidence d’artistes, option Arts plastiques, analyse filmique, théâtre, visites… ont conduit à sa labellisation « 100 % EAC » (Éducation artistique et culturelle) en septembre dernier.
Sous les toits, au cinquième et dernier étage du collège Jean-Pierre-Calloc’h de Locminé (574 élèves), dans le Morbihan, les 3es option Arts plastiques papillonnent autour d’une grande table en bois. Les mains noircies, ils absorbent avec du papier journal le surplus d’encre qu’ils viennent de poser sur leur support gravé avant de le presser sur une feuille. Ce procédé de gravure en creux appelé taille-douce est l’une des nombreuses techniques qu’ils ont découvertes avec leur professeur d’arts plastiques, Cédric Guillermo, également sculpteur. Créée l’année dernière, cette option leur permet, à raison d’une heure par semaine, de s’essayer aussi à la cyanotypie, la sérigraphie… Mais aussi de bénéficier d’une résidence d’artistes et de découvrir leur patrimoine local : le domaine de Kerguéhennec, centre d’art contemporain, et les chapelles du pays de Pontivy dans lesquelles des artistes exposent pour la manifestation « L’art dans les chapelles ». « Rencontrer un artiste, c’est ce que j’ai préféré, témoigne Chloé, élève de l’option. On a travaillé avec le photographe Nicolas Hergoualc’h, qui nous a expliqué la technique de la chambre photographique, de l’éclairage du sujet au tirage en labo… On a pris en photos des élèves de 4e. » Les tirages en noir et blanc, des portraits de jeunes élèves, sont placardés en grand format sur les murs de la médiathèque de la ville et tapissent un des couloirs du collège.
Un territoire enclavé
« L’idée de cette option, qui n’est pas notée, est d’avoir un temps privilégié avec un petit groupe d’élèves volontaires, mais sans prérequis de niveau », précise Cédric Guillermo. Une ouverture précieuse pour ces jeunes qui vivent dans le centre du département, très rural, et identifié comme un « territoire culturel prioritaire » car situé assez loin des sites remarquables de la région. « Très peu de nos élèves ont poussé la porte d’un musée. La plupart d’entre eux sont assez sédentaires le week-end : ils jouent au foot, font de la gym ou de la danse, jardinent, se promènent mais ne font pas la route avec leurs parents jusqu’à Vannes ou Rennes pour une visite culturelle », analyse Cédric Guillermo. Pour cet enseignant, fi ls de paysans qui a grandi ici, le déclic est venu à l’école : « Sans mes profs, j’aurais suivi des études agricoles. Mes enseignants, notamment ceux du lycée, m’ont ouvert à l’art. » Son idée que l’École est le lieu idéal pour donner le goût de la culture a rencontré, il y a quatre ans, le dynamisme d’Anne Lassemblée, professeur-documentaliste et référente culture de l’établissement. Car le terreau était déjà fertile : plusieurs enseignants et personnels de vie scolaire portaient depuis plusieurs années des projets théâtre, musique, cinéma, soirée des talents… qu’ils ont fait perdurer malgré plusieurs départs à la retraite. « J’ai seulement optimisé ce qui existait en créant du lien entre les différentes actions, déclare Anne Lassemblée. Et j’ai imaginé une continuité dans l’ouverture à la culture qu’on propose à tous nos élèves. » Ainsi, les 6es ont une semaine banalisée pour découvrir les danses et musiques africaines avec l’association Sitala, qui se clôt par la création d’un spectacle. En 5e, le focus est mis sur le Moyen Âge et le patrimoine local : découverte des enluminures, balade dans le vieux Vannes, visite du château voisin de Suscinio… En 4e, les jeunes se rendent au Planétarium de Bretagne, à Pleumeur-Bodou, et bénéficient de la résidence d’artistes avec les élèves de l’option Arts plastiques.
Découvrir Buster Keaton
Enfin, la 3e est l’année des voyages culturels : en Espagne avec l’enseignant de langues mais aussi en Provence, à la découverte du patrimoine (musée Estrine à Saint-Rémy-de-Provence, théâtre antique d’Orange…), sous la houlette de Cédric Guillermo et de Garance Anquetil, enseignante de français. De plus, tous les collégiens qui le souhaitent bénéficient d’un atelier théâtre avec cette dernière et Raphaël Bohelay, personnel de vie scolaire, qui l’animent bénévolement un midi par semaine. « Il y a une quarantaine d’élèves de la 6e à la 3e et on prépare pour la fin de l’année une adaptation de Roméo et Juliette, indique Raphaël Bohelay. J’organise les répétitions et leur donne des conseils pour assimiler le texte, projeter leur voix… » Il alimente aussi avec des 6es et 5es la web TV du collège, organise avec un cinéma partenaire des séances d’analyse filmique et s’implique dans le concours national de la Résistance et de la Déportation en aidant des jeunes à réaliser un court-métrage. « J’ai besoin d’échanger avec les élèves, de partager avec eux, ça fait partie de mon rôle d’éducateur, affirme-t-il. C’est génial de faire découvrir Buster Keaton à des 6es ! Le but de tous ces ateliers est de toucher le maximum d’élèves et de leur proposer un chemin qui les aide à s’épanouir. » Même écho chez Bruno Soquet, professeur d’éducation musicale, qui mène le projet Lyrics : des élèves de 4e écrivent une chanson et l’enregistrent avec un chanteur anglophone au cours de douze heures d’atelier, avant un grand concert sur scène. Et ceux qui n’auraient pas trouvé leur moyen d’expression peuvent aussi chanter ou danser à la soirée des talents organisée chaque fin d’année scolaire ! Trouver des financements pour ces multiples propositions est l’une des missions importantes d’Anne Lassemblée. Elle sollicite le Conseil départemental, qui subventionne de nombreux projets, et aide le collège à monter des dossiers en s’appuyant sur Adage (Application dédiée à la généralisation de l’éducation artistique et culturelle), qui donne accès à la part collective du pass Culture. « Depuis que je me suis formée à son utilisation, il y a deux ans, les projets culturels ont été boostés », observe-t-elle. Sur Adage, chaque établissement visualise un « porte-monnaie » (doté selon sa situation géographique, son nombre d’élèves, leur niveau) qui peut servir à financer la venue d’une troupe de théâtre, des médiations culturelles… Côté élèves, les effets sont bénéfiques. « L’option Arts plastiques et les ateliers sont des moments pendant lesquels on n’a pas de pression scolaire, ça nous aide à libérer le stress », confie Amandine, en 3e. « On sent les collégiens de plus en plus réceptifs et ouverts sur le plan artistique, estime pour sa part Anne Lassemblée. Cela fait trois ans que chaque niveau bénéficie d’un projet particulier sur le plan culturel, ce serait le moment de dresser un premier bilan avec les élèves. » L’année prochaine, le collège reconduira l’option Arts plastiques, mais cette fois en 5e afin d’éveiller plus tôt encore chez eux le goût pour la pratique artistique.
Une équipe investie
Déjà, la richesse et le sérieux de la proposition du collège Jean-Pierre- Calloc’h lui a permis d’obtenir en septembre dernier le niveau 2 (sur 3) du label « 100 % EAC » (Éducation artistique et culturelle). Une fierté pour Olivier Coulon, le chef d’établissement : « C’est un vrai plus pour nos élèves, qui ont la chance d’avoir une équipe éducative aussi investie. Mon rôle est de pouvoir conserver cette marge de liberté pour les enseignants. Cela implique de trouver des remplaçants quand ils conduisent des projets. L’objectif est maintenant de pérenniser cette dynamique en la partageant encore plus largement. »