Professeur et élèves

Le lycée de la seconde chance

Saint-Joseph-de-Tivoli, Bordeaux (33)
Marie-Alix Schontz, directrice du lycée
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Classe
© Noémie Fossey-Sergent

À Bordeaux, l’établissement jésuite Saint-Joseph-de-Tivoli a ouvert en septembre 2014 le premier Microlycée de l’enseignement catholique. Une deuxième classe pour élèves décrocheurs ouvrira à la rentrée.

9h dans la salle de cours du Microlycée de Tivoli, à Bordeaux. Uncaféàla main, Marie, 19 ans, longs cheveux roux et teint diaphane, s’installe dans la classe. C’est la seule arrivée mais Karine Colinet-Petit, enseignante d’anglais, commence son cours à l’heure. D’une voix timide, Marie avance dans son texte d’anglais comme un funambule sur un fil. Une demi-heure plus tard, Cindy, 22 ans, pousse la porte de la classe et prend le cours en marche… Aucune remarque ni coup d’œil réprobateur, pas question ici de culpabiliser les élèves. Depuis la rentrée 2014, l’ensemble scolaire Saint-Joseph-de-Tivoli accueille une classe d’élèves décrocheurs. Sur onze inscrits au départ, il en reste huit. Parmi eux, « six viennent régulièrement », explique Sandra Bribet, coordinatrice du Microlycée et enseignante d’histoire-géographie.

Inscrits en 1re L et ES et en terminale L, ils ont de 18 à 22 ans et des parcours très divers : il y a une jeune maman de 19 ans avec deux enfants, des élèves souffrant de phobie scolaire, d’autres qui ont été victimes de harcèlement… Cindy, elle, reprend ses études après avoir travaillé comme aide-soignante : « J’ai commencé après la 3e mais ce n’était pas la bonne orientation pour moi. Mon rêve ce serait de faire du droit, c’est pour ça que j’ai voulu m’inscrire ici ». « D’autres ont traversé des épisodes familiaux compliqués », glisse Sandra Bribet. Seul point commun : ils ont tous validé une 2de générale et connu une rupture scolaire d’au moins six mois. « On ne sait pas tout de leur histoire et on ne veut pas être intrusif, confie Bonita Dubreuil, chef de l’établissement. Quand nous les avons reçus pour leur inscription, ils s’attendaient à ce que nous leur demandions de justifier leur coupure. Mais la seule chose dont on souhaitait s’assurer, c’était de leur motivation. »

Un coach pour chaque élève

Pour eux, l’établissement crée du sur-mesure. La question du lieu d’apprentissage, d’abord, a fait l’objet d’une vraie réflexion : « On ne voulait pas qu’ils aient à traverser tout l’établissement pour aller en cours, explique Bonita Dubreuil. On a choisi une salle située juste à l’entrée, près du gardien. »

Symboliquement, ils ont bien franchi le portail mais restent dans un cocon protégé. Jouxtant leur salle de cours, se trouve une salle de repos avec machine à café et micro-onde qu’ils partagent avec des élèves de BTS, plus proches d’eux en âge que les lycéens.
Pas de changement de classe, ce sont les enseignants qui viennent à eux.

Soucieuse de ne pas trop marquer la différence entre lycée et Microlycée, l’équipe a décidé de leur imposer le même règlement intérieur, à la nuance près qu’ils ne commencent par s’engager que sur cinq points, au choix, sur les dix. Dans le même esprit, les cours d’EPS sont communs avec les autres lycéens et l’inclusion, dès qu’elle est possible, est pratiquée. Tous les professeurs sont volontaires pour enseigner au Microlycée. « J’ai fait un appel à candidature après avoir présenté le dispositif et je n’ai eu aucun mal à constituer l’équipe », confirme Bonita Dubreuil. Leur rôle va pourtant bien au-delà de celui d’enseignant : « On est aussi éducateur, coach, parfois assistante sociale… », précise Françoise Ternant, professeur de français. Les élèves ont un emploi du temps allégé : 18 h par semaine avec, pour ceux qui ont un travail à côté, une possibilité d’aménagement de leur planning. Le défi pour chaque enseignant reste de les préparer au bac malgré ces contraintes et une forte disparité de niveaux. Pour cela, ils jouent sur d’autres leviers : « Je pratique beaucoup la classe inversée », expose Sandra Bribet. « Quand on travaille le commentaire, je découvre le texte avec eux. Je note toutes les idées que cela leur inspire. Puis je pose des questions et je me rapporte au tableau en leur disant : “Vous voyez que vous aviez les réponses !”. À un élève souvent absent mais que je sens motivé, j’ai aussi donné tous mes cours sur clé USB pour qu’il travaille chez lui », détaille Françoise Ternant. Les enseignants s’engagent aussi personnellement : « Chaque élève s’est choisi, selon ses affinités, un coach parmi les professeurs », explique Sandra Bribet. « À une élève qui a des phobies scolaires, j’ai envoyé des SMS la veille d’un oral blanc pour la pousser à se présenter », se souvient Françoise Ternant.

« Ils pensent devoir rattraper le temps perdu »

L’enseignante sait que les victoires se savourent par étapes : « D’abord, se présenter à l’épreuve, puis rester 3 h sur sa chaise et ensuite produire quelque chose ». À l’inverse, quand elle apprend que, malgré ses encouragements, une élève n’est finalement pas venue le jour J, Françoise Ternant s’efforce de relativiser : « On pourrait le prendre comme un échec personnel mais en m’avouant que cela l’angoissait, j’ai compris qu’elle me faisait confiance. C’était déjà un point positif. » Il y a aussi de belles surprises. Comme le parcours d’une autre Marie, seule élève de terminale L du Microlycée. Après un an sans scolarité, elle réussit cette année à suivre 90 % de ses cours en totale inclusion. Chaque semaine, un temps de concertation permet à l’équipe de partager son ressenti et de passer en revue la situation des élèves.

Dans l’évaluation, sujet particulièrement sensible pour des décrocheurs, les professeurs du Microlycée font là aussi preuve d’inventivité et de souplesse. « Pendant un mois, aucun de nous ne les a évalués », se souvient Sandra Bribet. « Je leur laisse choisir la date à laquelle ils souhaitent être contrôlés sur une période de deux semaines que je détermine. Ils me disent quand ils se sentent prêts », confie Sophie Marque, leur professeur d’espagnol. Recours aux évaluations sur 10 pour éviter de plomber la moyenne, valorisation de chaque devoir, possibilité de refaire… « Ils pensent devoir réussir et rattraper le temps perdu. Alors nous leur apprenons à s’autoriser à prendre le temps nécessaire » insiste Bonita Dubreuil. Des retombées positives inattendues se sont aussi produites : Marie, en 1re L au Microlycée et originaire des Pyrénées, a été accueillie toute l’année par la famille d’une élève de 5e. « Les parents sont très contents de l’avoir chez eux, ils trouvent que leur fille a changé en bien à ses côtés… », confie Bonita Dubreuil.

L’année prochaine, Saint-Joseph-de- Tivoli ouvrira une deuxième classe afin de séparer élèves de 1re et de terminale et de procéder à quelques ajustements. Le temps d’étude, jusque là facultatif, sera intégré dans l’emploi du temps de l’élève et encadré par un adulte. La précarité financière de certains élèves est également une source de questionnement. Difficile de se concentrer sur ses études quand on doit faire face à de gros soucis d’argent. « Nous réfléchissons à un fonds de solidarité pour eux », glisse Bonita Dubreuil. Du côté de l’équipe enseignante, l’expérience semble concluante. Tous souhaitent poursuivre l’année prochaine. « Cela a changé ma façon de faire avec mes élèves « classiques », observe Françoise Ternant. Dans un groupe de trente-cinq, on ne se rend pas compte quand des lycéens n’arrivent plus à suivre. Dans une classe de quelques élèves, on le lit tout de suite sur les visages ! »